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CHRONIQUES
22 décembre 2024

La Maréchale s'en est allée

Elle a été l'une des plus mythiques cantatrices du XXe siècle et certainement, dans un répertoire choisi, une interprète toujours inégalée. Celle qui fut si souvent sa partenaire à la scène et au disque, la grande Christa Ludwig, nous dit un jour : « Bien sûr, j'ai chanté beaucoup plus de rôles et d'opéras qu'Elisabeth, avec plus ou moins de réussite. Mais ceux avec lesquels elle a fait l'essentiel de sa carrière, personne ne les chantera jamais plus comme elle ».
 

Le 03/08/2006
Gérard MANNONI
 



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  • Née en 1915, Elisabeth Schwarzkopf a marqué plusieurs décennies, après la Seconde Guerre mondiale, en tête de cette incroyable génération où se côtoyaient les Callas, Tebaldi, Milanov, Varnay, Rysanek, Los Angeles et quelques autres. Elle avait débuté juste avant la guerre, voix légère qui semblait vouée aux emplois de colorature, mais qui évolua vite vers un vrai soprano lyrique, notamment grâce à l'enseignement de Maria Ivogün.

    De la période trouble de la guerre où elle avait déjà intégré les forces de l'Opéra de Vienne grâce à Karl Böhm, elle émergea pour se retrouver dans la troupe de Covent Garden chantant aussi bien Verdi et Puccini que déjà Mozart et Strauss, mais surtout Violetta et Mimi, dont restent quelques traces au disque. Elle affirmera plus tard : « Du jour où j'ai entendu Maria Callas dans ce répertoire, j'ai compris que c'était plus pour elle que pour moi Â». Sous la houlette de Walter Legge, directeur artistique chez His Master's Voice et époux Pygmalion, elle va alors développer une autre carrière, essentiellement vouée au Lied, à Strauss et à Mozart.

    Le festival de Salzbourg devient alors son fief, de 1949 à 1964. Qui effectivement, chantera jamais la Comtesse des Noces de Figaro, Fiordiligi ou Elvire comme elle le fit pendant cet âge d'or ? Des enregistrements cultes en témoignent, souvent sous la baguette d'un Karajan encore jeune. On allait à Salzbourg presque seulement pour elle, même si ses partenaires, les Grümmer, Siepi, Kunz, Seefried, Ludwig, Dermota, n'étaient pas non plus des moindres.

    À Bayreuth, elle fit une apparition en Eva des Maîtres chanteurs et en Woglinde du Ring, en 1951 seulement. Le disque et les spectacles ont laissé aussi le souvenir d'une éblouissante Elisabeth de Tannhäuser, d'une bouleversante Elsa de Lohengrin. Mais la grande Elisabeth, comme nous l'appelions, comprit vite qu'il valait mieux s'en tenir aux domaines où elle régnait en souveraine absolue : Mozart, et aussi Strauss, avec la Maréchale du Chevalier à la rose, Ariane ou la Comtesse de Capriccio. Elle y est toujours la référence, comme dans les Quatre derniers Lieder, sans doute à jamais insurpassables.

    La révélation du Lied

    Et le domaine du Lied ? Même ses ennemis les plus farouches, ceux qui n'aimaient pas ce qu'il appelaient son « maniérisme Â» et lui reprochaient, comme à Karajan, trop de proximité avec le nazisme dans sa jeunesse, ne pouvaient nier qu'elle en révéla au monde entier les beautés et la richesse comme nul autre, sauf peut-être un Fischer-Dieskau.

    Ses récitals, eux, étaient un vrai cérémonial. Considérée comme l'une des plus belles femmes du monde lorsqu'elle paraissait en scène, avec ce physique à la Marlène, de somptueuses robes du soir signées des plus grands couturiers, un impact scénique immédiat, elle connaissait un succès qui n'a plus connu d'égal.

    Au Théâtre des Champs-Élysées, on installait derrière le piano quelques dizaines de chaises de surnuméraires. Chose inimaginable aujourd'hui, le public en extase lui faisait bisser des Lieder en plein récital, avant l'entracte aussi, et ne la laissait repartir qu'après un grand nombre d'autres bis dont certains étaient immuables. Pour son dernier concert à Paris, on avait annoncé des adieux. Le plateau du TCE ressemblait à une exposition florale et des auditeurs de tous âges pleuraient. Mais elle arrêta la standing ovation pour dire : « Ce n'est pas un adieu, seulement un au revoir Â». Pourtant, la mort de son mari peu de temps après, en 1979, l'éloignait à jamais de la scène.

    À Paris, elle ne vint que fort peu au théâtre, et assez tard, pour le Chevalier à la rose à Garnier, d'abord, puis pour Capriccio et Così à Favart. Mais c'était l'époque où aucune des grandes voix internationales ne faisaient autre chose que de brèves et rares apparitions chez nous. Elle était venue aussi une fois, très jeune, à une époque où elle disait qu'elle n'était « qu'une petite rienne ! Â»

    Mille couleurs, mille inflexions

    Comment parler de la voix de Schwarzkopf ? Il faut surtout l'entendre. Sans doute, à sa manière, avec des moyens que le travail et la technique rendirent exceptionnels mais qui ne l'étaient pas au départ, elle a pratiqué un art du chant aussi audacieux que celui de la Callas, mettant tout au service de la musique et de l'expression. Mille couleurs, mille inflexions, le sens du mot et de sa force, la limpidité du phrasé et la richesse d'un timbre que l'on disait alors « de velours et d'or Â», tout contribuait à l'expression dramatique et musicale d'un personnage, d'un poème, d'une scène entières.

    Et le jeu scénique intense, soigné dans le moindre détail, était le reflet de cette vie intérieure, où vibrait une angoisse sous-jacente, une ardeur qui ont pu conférer à des Lieder comme la Marguerite au rouet de Schubert ou à des pages comme le Libera me du Requiem de Verdi ou encore le monologue de la Maréchale et la scène finale de Capriccio une portée jamais égalée.

    Devons-nous avouer que plus tard, quand, passé de l'état d'admirateur à celui de journaliste nous eûmes l'occasion de la rencontrer brièvement, nous ne retrouvâmes rien dans le civil de cet extraordinaire rayonnement ? Pas plus que son autobiographie la Voix de mon maître ne donne une image mémorable de sa personnalité. Le livre d'André Tubeuf est sûrement plus proche de nos rêves. Mais c'est au disque que les générations d'aujourd'hui doivent se reporter, car sa discographie chez EMI est immense.

    Quant à nous, il nous reste en plus le souvenir de ces apparitions radieuses, enivrantes, qui n'avaient certainement alors d'égal que celles de la Callas, à sa manière à elle. Ces deux femmes exceptionnelles ont certainement plus fait à elles seules pour l'opéra que la multitude d'héritières approximatives qui grouillent aujourd'hui dans les mêmes répertoires.




    Le 03/08/2006
    Gérard MANNONI



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