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CHRONIQUES
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15 janvier 2025
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Tenait-elle sa très forte personnalité de ses origines multiples ? De nationalité américaine – elle arriva à l'âge de 2 ans aux États-Unis – elle était née d'un père suédois d'origine hongroise, ténor puis metteur en scène de son état, et d'une mère soprano colorature qui fut son premier professeur. Elle devait épouser en 1944 son deuxième professeur, le chef d'orchestre Hermann Weigert.
Véritable soprano dramatique, avec des graves si naturellement puissants qu'on la prendrait aujourd'hui pour un mezzo, elle se fit connaître en un soir, le 6 décembre 1941, veille de l'attaque de Pearl Harbour, remplaçant Lotte Lehmann en Sieglinde au Metropolitan Opera de New York. Ce théâtre devint alors son royaume et elle y chanta aussi, ce qu'on ignore souvent, tout le répertoire italien, de Gioconda à Lady Macbeth et Simon Boccanegra.
C'est à Covent Garden qu'elle fit ses débuts éuropéens en 1948. Wieland Wagner la choisit alors, sans pourtant réussir à l'auditionner, pour être la Brünnhilde de la réouverture du festival de Bayreuth en 1951. Il cherchait une voix aussi grande mais moins germanique que celles de Frieda Leider et Kirsten Flagstad. Cette même année 1951, il faut savoir qu'elle était aussi Lady Macbeth au Mai Musical Florentin ! Le timbre de Varnay, qui nous paraît aujourd'hui si noir, était alors considéré comme italien, vu le répertoire qu'elle pratiquait. Mais les temps étaient autres
Après ces débuts mythiques à Bayreuth, avec Leonie Rysanek en Sieglinde et Herbert von Karajan au pupitre, Astrid Varnay fut partout la très grande Brünnhilde, l'immortelle Isolde, l'incroyable Elektra que l'on sait, sans oublier ses Senta, Ortrude, puis Hérodiade ou Clytemnestre, rôle qu'elle aborda en fin de carrière, notamment à l'Opéra de Paris. À Paris, justement, on la vit souvent, en général sous la baguette de Hans Knappertsbusch.
Son rayonnement scénique était unique, servi par de vastes yeux incandescents et une gestuelle dramatique magistrale, totalement inspirée par la musique. Quant à la voix, sans doute d'une qualité intrinsèque moins belle que celles de Flagstadt, Lubin ou Nilsson, elle avait par nature une couleur dramatique, charnelle, bouleversante, donnant une dimension métaphysique, fondamentale, à tout ce qu'elle interprétait, avec une puissance dont les générations actuelles n‘ont aucune idée. Certains musiciens de l'Opéra baissaient instinctivement la tête quand passaient au dessus de la fosse ses imprécations d'Isolde ! Mais cette voix était d'une nature qui se mariait totalement à l'orchestre tout en s'en distinguant parfaitement, comme un pupitre fourni d'extraordinaires instruments à cordes, aux très riches harmoniques.
Sa discographie est loin d'être aussi abondante qu'elle aurait dû l'être et ne lui rend pas toujours pleinement justice. On retiendra néanmoins les live de Bayreuth, d'Elektra et l'enregistrement studio de Salomé, les extraits du Ring et de Tristan chez DG, son Vaisseau Fantôme, ses récitals chez Myto. Mais tous ceux qui eurent le privilège de la voir et de l'entendre que ce soit à Bayreuth ou ailleurs, gardent au plus profond de leur mémoire ce qu'ils virent et entendirent alors, et qui incarnait la totale plénitude du grand art lyrique et du théâtre d'opéra. Ni elle ni son amie Birgit Nilsson, disparue aussi cette année, n'ont été remplacées à ce jour.
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