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CHRONIQUES
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21 décembre 2024
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Salle plongée dans le noir, œuvre jouée dans deux lieux séparés… écrivions-nous l’an passé pour notre chronique sur le festival Agora 2007, aussi l’édition 2008 placée sous l’égide de « l’icône, la voix », s’annonçait riche en transformations vocales et en expériences sonores. Curieusement, de cette exaltante quinzaine organisée par l’IRCAM, c’est précisément ce qui aura semblé le moins abouti !
Le concert d’ouverture intitulé Du seuil du verbe aura ainsi donné le ton. Outre un inoffensif Concerto pour violoncelle d’Eliott Carter – bellement défendu cependant par Marc Coppey –, la création originellement prévue de Speakings de Jonathan Harvey aura été remplacée par la lourdement décorative Madonna of winter and spring du même compositeur, et l’Icône paradoxale de Gérard Grisey, pour mezzo-soprano, soprano et orchestre, aura fait les frais d’un Orchestre Philharmonique de Radio France négligé.
Cette pièce de 1994 marquait cependant une étape décisive dans le parcours du compositeur français avec sa volonté de contracter la structure entière de l’œuvre dans la première minute, puis de la dilater dans les dernières pour la regarder au microscope et d’en faire éclater la vie – fascinantes Susan Narucki et Lani Poulson.
Voici l’hommage que rendait le Philharmonique de Radio France à l’un des plus grands musiciens français du XXe siècle ? Aussi, bienvenue était l’idée d’enchaîner sans interruption par le bouleversant Mortuos Plango Vivos Voco de Jonathan Harvey, dont les transformations électroniques – la voix d’un enfant mêlée à la cloche d’une cathédrale – résonnait comme le plus beau des hommages rendu au génial pourvoyeur de la musique spectrale, disparu à l’âge de 52 ans en 1998.
Ratage cinglant
Si nous avons pu écrire ici que Melancholia de Haas à l’Opéra de Paris ne renouvelait guère la question de la vocalité, le ratage de Com que voz de Stefano Gervasoni au Châtelet est encore plus cinglant. Sur le papier pourtant, l’affiche allèche : mariage entre une chanteuse de fado (la langoureuse Cristina Branco) qui interprète des chansons traditionnelles réorchestrées, et une partie originale vouée au chant contemporain (par le baryton Franck Woerner), le tout joué par l’excellent Ensemble Modern dirigé par Franck Ollu.
Las ! Les épisodes se succèdent ad alternatim, sans aucune espèce d’imagination ni volonté d’opérer des mélanges, et étrangement, la partie de musique contemporaine est si ingrate, si impersonnelle que la réapparition de la suave Cristina Branco apparaît à chaque fois comme une délivrance !
Quatre chants pour franchir le seuil
Alors, ratée cette édition vouée à la voix ? Non pas assurément ! Le Festival aura redonné les mythiques Quatre chants pour franchir le seuil de Gérard Grisey. Si la sensible Barbara Hannigan reste parfois trop dans la joliesse, l’Ensemble Intercontemporain et Susanna Mälkki portèrent cette œuvre – composée de chants mortuaires, alors que son compositeur allait disparaître lui-même d’une hémorragie cérébrale quelques semaines plus tard – jusqu’à l’incandescence, en faisant le digne pendant des Quatre derniers Lieder de Strauss, d’une ampleur et d’une force qui sidère et résonne longtemps après que les dernières mesures se soient éteintes.
Deux autres thématiques lors de ce festival : Agora reste toujours le tremplin pour lancer de jeunes compositeurs. Passons rapidement sur les œuvres de Pierre Jodlowski et Andrea Cera, davantage de l’ordre du commentaire musical pour évoquer les deux autres pièces jouées lors du concert de l’ensemble Court Circuit : le virtuose Ca tourne ca bloque du jeune Tchèque Ondrej Adamek – étude sur le langage, japonais et français, vibrionnante d’idées et de malice, qu’une légère réserve à l’encontre du théâtre empêche cependant de transcender – et Décombres de Raphael Cendo pour clarinette basse (le savoureux Alain Billard), dont la violence saturée s’inscrit dans une structure et des transitions si ouvragées qu’elles en paraissent presque classiques, créant ainsi un contraste qui ne manque ni de beauté ni de trouble.
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Art of Metal III
Cette esthétique de la saturation du son se retrouvera dans la création d’un autre jeune trentenaire, Yann Robin, dont Alain Billard une nouvelle fois donnait en compagnie de Susanna Mälkki et de l’Intercontemporain le concerto pour clarinette contrebasse Art of Metal III.
Hurlements dans l’anche de l’instrument, déflagrations massives de percussions métalliques, cette violence musicale rappelle le jazz le plus débridé ou la techno la plus démentiellement sonore mais a surtout l’immense mérite de rafraîchir nos oreilles, d’engendrer dans les salles de concert de la surprise, jouant sur une fine frontière entre l’arbitraire et ce qui convient d’appeler l’art.
La pièce de Yann Robin a les qualités de ce courant (dont Raphael Cendo et Franck Bedrossian sont les hérauts) : délicieux charivari constamment en flux tendu, mais ne sait encore trop faire de ce chaos sonore, et construit son discours par les seules techniques instrumentales et se raccroche à d’autres orgies musicales comme le Sacre du printemps ou Amériques, repères trop aisément confortables. Yann Robin est cependant un compositeur prometteur.
Concluons enfin par une image et un son. L’image – les yeux cherchant dans les ténèbres – est celle du Klangforum Wien jouant dans le noir le plus absolu de longues minutes durant la musique d’In vain de Georg Friedrich Haas, subtile mais comme souvent chez ce compositeur désincarnée et dénuée du moindre enjeu dramatique.
Le Noir de l’étoile
Et le son, celui du pulsar 0359-54, qui apparaît soudain sous les voûtes de l’église Saint-Eustache, longuement préparé par les six prodigieux musiciens des Percussions de Strasbourg. C’est que le Noir de l’étoile de Gérard Grisey est de ce genre de spectacles qui marque pour une vie. Car, précédée d’une introduction de l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet, et avec le génie dramatique de Grisey, qui n’est rien tant qu’un raconteur d’histoires en musique, lui le grand maître des processus de la musique spectrale, cette pièce emmène de l’infiniment loin – le son d’une étoile d’abord enregistré puis retransmis d’après un télescope en direct – à l’infiniment près : en vous-même.
Vous cernant de sonorités de percussions qui paraissent tracer des ondes autour de vous, le Noir de l’étoile aborde en majesté des problématiques élémentaires de l’homme et revient à l’essence même du phénomène musical. Inoubliable !
Mercredi 4 juin, Église Sainte-Eustache
GĂ©rard Grisey (1946-1998)
Le Noir de l’étoile
Les Percussions de Strasbourg
Jeudi 5 juin, Cité de la musique
GĂ©rard Grisey (1946-1998)
L’Icône paradoxale, pour soprano, mezzo-soprano et orchestre
Jonathan Harvey (*1939)
Mortuos Plango, vivos voco, pour Ă©lectronique
Elliott Carter (*1908)
Concerto pour violoncelle
Jonathan Harvey (*1939)
Madonna of winter and spring, pour orchestre, synthétiseurs et électronique
Susan Narucki, soprano
Lani Poulson, mezzo-soprano
Marc Coppey, violoncelle
Philippe Guilhon Herbert, synthétiseur
Sylvie Barberie, synthétiseur
Orchestre Philharmonique de Radio France
direction : Pascal Rophé
réalisation informatique musicale IRCAM : Gilbert Nouno
Samedi 7 juin, Centre Pompidou
Yann Robin (1974*)
Art of métal III
Cursus 2
Alain Billard clarinette
GĂ©rard Grisey (1946-1998)
Quatre Chants pour franchir le seuil
Barbara Hannigan soprano
Ensemble Intercontemporain
direction : Susanna Mälkki
réalisation informatique musicale Ircam : Yann Robin
Encadrement pédagogique (cursus 2) : Robin Meier
Mardi 10 juin, IRCAM, Espace de projection
Andrea Cera (*1969)
Dueling Zombies
Pierre Jodlowski (*1971)
De front
Ondrej Adámek (*1979)
Ça tourne ça bloque
Raphaël Cendo (*1975)
DĂ©combres
Alain Billard, clarinette contrebasse
Ensemble Court-circuit
direction : Jean Deroyer
Mercredi 11 juin, Théâtre du Châtelet
Stefano Gervasoni (*1962)
Com que voz, d'après des sonnets de LuĂs Vaz de Camões et des fados d'Amália Rodrigues
Cristina Branco, fado
Frank Wörner, baryton
Ensemble Modern
direction : Franck Ollu
réalisation informatique musicale IRCAM : Thomas Goepfer
Lundi 16 juin, Théâtre des Bouffes du Nord
Georg Friedrich Haas (*1953)
In vain
Klangforum Wien
direction : Emilio Pomarico
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