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CHRONIQUES
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25 novembre 2024
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Une ouverture en fanfare sympathique, riche, allègre : c’était celle, le week-end dernier, de ce palazzetto acquis à la famille de Habsbourg par la milliardaire française le Docteur Nicole Bru. Ancienne propriétaire et directrice des laboratoires Upsa, elle consacre sa fortune à des associations humanitaires et culturelles. Sans être musicienne (elle avoue ne rien y connaître), elle est mélomane et assure que sur une île déserte elle emporterait – à condition d’avoir un lecteur CD en état de marche – plus de disques que de livres.
Cet amour pour la musique, elle le doit à son mari, patron d’Upsa auquel elle a succédé après son décès en 1989. Coup de foudre pour la musique et coup de foudre pour Venise, cela allait de pair. Pendant des années, elle a fureté dans le patrimoine immobilier des palais que vendait la mairie de la Sérénissime. Sans s’y arrêter, jusqu’à trouver par petites annonces, ce Palazzetto Zane : une petite merveille de 1000 m2 datant du XVIIe siècle, assortie d’un jardin hors des circuits les plus touristiques.
Ce palazzetto avait été offert par le gentilhomme Marino Zane – qui habitait un palais voisin – à sa fille. Il était destiné à la musique. On dit même que Mozart, lors de son séjour à Venise, y aurait joué. L’édifice aurait coûté à Nicole Bru quelque 13 millions d’euros. Après une restauration particulièrement soignée, mettant en évidence des fresques, peintures et lambris dissimulés sous d’épais crépis, le voici en bel état. Son palais restitué, Nicole Bru cherchait un projet. C’est son ami, le chef Hervé Niquet qu’elle connaissait parce ce que sa belle sœur chantait dans son chœur, qui le lui a fourni clés en mains. Après la reconnaissance de la musique baroque voilà quarante ans, il est urgent selon lui de redécouvrir des musiciens français oubliés et des œuvres mal aimées de l’époque romantique.
L’équipe du Palazzetto Bru Zane, dirigée par des musicologues de Paris, les frères Alexandre et Benoît Dratwicki, propose une production éditoriale et déjà deux ouvrages de référence : les Lettres de compositeurs à Camille Saint-Saëns et Claude Debussy et le prix de Rome. Des partitions ont également été retrouvées et éditées, parmi lesquelles des pièces de George Onslow, une cantate pour chœur de Debussy et la première édition de l’ouverture des Francs Juges de Berlioz que l’on croyait disparue.
Le Palazzetto programme bien entendu des concerts. Il ne peut s’agir que de petits récitals, compte tenu de l’exiguïté de la salle principale, qui ne peut contenir que deux ou trois cents personnes. C’est en direct dans l’émission de Frédéric Lodéon sur France Musique, samedi après-midi, qu’a été donné par le pianiste Bertrand Chamayou le concert d’ouverture. Sur un magnifique piano Érard de 1902 acquis par la fondation, il communiqua une émotion d’une belle intensité avec des œuvres de Ravel, Liszt et Franck.
Le soir, c’est à deux pas du Palazzetto, dans la majestueuse salle de la Scuola Grande San Giovanni Evangelista qu’avait lieu le premier concert d’envergure. Le Concerto Köln, sous la direction d’Andreas Spering, répondait admirablement au projet de Nicole Bru en faisant découvrir des pièces rarement jouées : la 1re symphonie de George Onslow (1784-1852), la 2e symphonie de Louis-Ferdinand Hérold (1791-1833) et le Concerto pour piano d’Hyacinthe Jadin (1769-1802).
De ces trois œuvres, la plus intéressante est la symphonie de Hérold dans laquelle ceux qui ont aimé Zampa l’an passé à l’Opéra Comique reconnaîtront la même dynamique sautillante. Hyacinthe Jadin est un bel inconnu, sauf des musicologues très avertis qui apprécient ses quatuors. Dans ce concerto magnifiquement interprété par Alain Planès, hors les influences de Haydn et de Mozart, le préromantisme de Jadin est d’une veine passionnante. Dommage qu’il soit mort si jeune ! Il fut le maître de George Onslow, qualifié à la fois d’« anglais d’Auvergne » puisque son père était d’origine britannique et de « Beethoven français ». Ce dernier surnom paraît assez abusif bien que ce musicien mérite d’être plus souvent joué : il est d’ailleurs ces jours prochains au programme du Concours de musique de chambre de Lyon.
Marc Minkowski se réservait la part du lion, dimanche après-midi, dans la belle salle de la Scuola. Il dirigeait un programme identique à celui qu’il avait donné, avec ses Musiciens du Louvre, lors de la réouverture de l’Opéra Royal de Versailles. Et là encore, avec le Don Juan de Gluck, commentant les scènes, il emballait un public de célébrités financières, économiques et culturelles venues en avion spécial depuis Paris. Le Palazzo Bru-Zane est bien lancé. Sa programmation automnale sur les Sources du romantisme culminera le 7 novembre, au théâtre de la Fenice avec l’Orchestre national de France sous la direction de Sir Colin Davis. Ce concert aura été préalablement donné deux jours plus tôt à l’Opéra Comique, dont il marquera le lancement de la saison 2009-2010.
Car la fondation est aussi un label. Elle coproduit un certain nombre de concerts et d’opéras. C’est ainsi qu’elle est associée à plusieurs spectacles de Favart, comme Fortunio de Messager, Béatrice et Bénédict de Berlioz ainsi que Mignon d’Ambroise Thomas. Après François Pinault qui s’est installé à Venise, après Nicole Bru, le mouvement est lancé. Il faut espérer que d’autres milliardaires deviendront à leur tour de vrais mécènes.
Palazzetto Bru Zane
Centre de musique romantique française
San Polo 2368 – 30125 Venezia – Italia
www.bru-zane.com
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