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CHRONIQUES
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15 janvier 2025
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Avec la disparition de Gustav Leonhardt, c’est une page de la mémoire du renouveau de l’interprétation baroque qui se tourne définitivement. Claveciniste, organiste, musicologue, chef d’orchestre, l’immense musicien aura marqué de son intégrité sans faille et de son exigence à peu près tout ce qu’il a touché.
On n’énumérera pas la totalité de ses enregistrements qui furent tous peu ou prou des références, que ce soit en musique italienne – Frescobaldi magistral –, française – Louis Couperin architectural – ou bien sûr allemande – avec sans doute Bach plus que tout autre, entre des Variations Goldberg radiographiées, un Clavier bien tempéré rigoureux, une Passion selon saint Matthieu d’une gravité protestante inégalée, et surtout l’impérissable legs de son intégrale des Cantates en alternance avec Harnoncourt, projet peut-être le plus fou de l’histoire de l’interprétation.
Précurseur dans la redécouverte des clavecins historiques des XVIIe et XVIIIe siècles, à l’époque « héroïque » des clavecins industriels à seize pieds, on imagine aisément cet esprit aiguisé chercher patiemment, en solitaire, sa vérité des œuvres du Cantor de Leipzig, dont il devait rester l’un des plus absolus et incontestés serviteurs.
Après des débuts discrets, ses enregistrements pour Das Alte Werk devaient lui ouvrir les portes d’une carrière exemplaire : pas un raté, pas un faux pas, pas un mauvais choix de répertoire, pas une concession à cette musique qu’il trouvait souvent « vulgaire » à partir du XIXe siècle, n’en déplaise aux adeptes de l’éclectisme d’aujourd’hui.
Pour autant, la vie palpable à chaque instant dans son travail, loin de toute archéologie, est à l’image de sa réflexion théorique sur la musique : elle ne doit être qu’un substrat à l’interprétation musicale, et l’érudition, l’application ne sauraient remplacer la personnalité, la maturité, l’intégrité ; raison pour laquelle, peut-être, le fondateur du Leonhardt-Consort, professeur émérite du Conservatoire d’Amsterdam, acolyte privilégié des Kuijken et chercheur infatigable, se limita volontairement à livrer son savoir par la seule voie de l’interprétation.
On remarquera à ce titre le caractère exceptionnel de l’Art de la Fugue, dont il publia en 1952 une analyse qui fait encore autorité. Gageons que cette hauteur de vue, ce perfectionnisme scrupuleux et cet engagement passionné et inspiré ne se retrouveront pas de sitôt ; pour l’auditeur attentif, qui a vibré à l’enthousiasme tangible de la génération Leonhardt alors qu’elle redécouvrait des territoires oubliés depuis longtemps avec une intégrité confinant à la foi, il ne reste qu’un legs discographique passionnant et abondant, qui témoigne de la ferveur exemplaire d’un musicien philosophe.
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