Programme original que ces Leçons de Ténèbres chantées à deux ténors et un baryton. Dans la France baroque, les Leçons de Ténèbres en tant que genre musical connurent une vogue extraordinaire, la célébration liturgique étant doublée d'un événement mondain bravant les interdits. En effet, brimés par le monopole de Lully sur les tragédies lyriques, des compositeurs comme Charpentier osèrent ainsi transposer à l'église le lyrisme vocal inspiré de l'opéra.

Ces Offices devinrent progressivement le lieu de véritables concerts, mêlant voix et instruments d'accompagnement, en contradiction formelle avec le cérémonial romain qui interdisait l'emploi des instruments.

En voulant situer sa lecture entre frénésie et piété, Hervé Niquet emprunte à l'évidence la voie de mysticisme, sans pour autant qu'il ne saisisse l'occasion de la mise en théâtre. Son plateau vocal inégal, "flagellant" et pétrifié en est partiellement responsable. Les solistes, Pierre Evreux, Cyril Auvity et Ronan Nédélec recherchent davantage la clarté de l'élocution et de la récitation du texte au détriment de la perspective dramatique.

Du coup, la continuité narrative et poétique se fond dans une atmosphère lugubre de contrition et de lamentation. Comment comprendre alors que se joue devant nos oreilles la chute de Jérusalem ? Comment percevoir cette cité meurtrie par ses ennemis et dont les sanctuaires, sous leurs dômes éblouissants, retentissent du cri des affligés ?

Glossa, le nouvel éditeur du Concert Spirituel, sort simultanément l'enregistrement de ces Leçons de Ténèbres inédites. Il sera intéressant de vérifier si la lecture pluvieuse proposée par Hervé Niquet pour ce concert était ou non un effet d'un printemps décidément pourri