Combien de baguettes cĂ©lèbres se sont succĂ©dĂ© sur l'estrade de la Deutsche Oper de Berlin ? Christian Thielemann, depuis 1997, est Ă  la tĂŞte de l'auguste maison qui vit passer Richard Strauss, Bruno Walter, Wilhelm Furtwängler, Ferenc Fricsay


C'est en dĂ©fenseur de la grande tradition allemande qu'il se pose, avec raison. Ce ne sont pas des sonoritĂ©s qu'il cherche, mais bel et bien un son, profond, ample, physiquement puissant, qu'il fait monter et s'Ă©panouir petit Ă  petit ; l'effet de masse, toutefois, ne masque pas les dĂ©tails et ne dilue pas les timbres dans l'indiffĂ©rence.

Son Wagner est solidement charpenté, finement articulé, dramatiquement infaillible dans les extraits du Crépuscule des Dieux, avec cette hauteur de vue, cette force et cette énergie qu'ont seuls les très grands chefs (une race qui, aujourd'hui, se fait rare). Plus que le Lever de soleil, ce sont le Voyage sur le Rhin et la Marche funèbre qui impressionnent, par leur grandeur dépourvue d'emphase.

Thielemann n'est sans doute pas une référence absolue, notion parfaitement déplacée en musique où chaque interprétation qui fait date n'est qu'un jalon, mais ce qu'il donne à entendre force le respect. De même Marilyn Zschau, vaillante soprano, spécialiste des rôles exigeant une indomptable endurance, et qui remplace Julia Varady dans la scène finale du Crépuscule, enlevée avec courage par une chanteuse qui paie comptant.

Mais Varady n'a pas annulé le premier acte de La Walkyrie. Il faut vaincre les apparences (la stricte robe collet monté, les lunettes, le chignon) pour imaginer derrière l'austère silhouette les émois de Sieglinde. Mais la technicienne est toujours sensationnelle et la musicienne, tenant compte de moyens aujourd'hui réduits (ce qui s'entend à peine) mais qui n'ont jamais été ceux d'une wagnérienne, reste admirable. En quelques phrases, en quelques mesures, elle fait entrer la vie.

Kurt Moll, vétéran très aimé, est encore un Hunding de grande classe. Le Siegmund de Poul Elming est loyal, mais sa justesse est souvent incertaine.

Comment se fait-il, pourtant, que cet acte qui ouvre la soirĂ©e soit si dĂ©cevant ? L'orchestre semble parfois lourd, le discours progresse lentement ; il faut, certes, mĂ©nager les chanteurs (la manière dont le chef soutient Varady est Ă©tonnante) mais comment peut-on croire en ces amants qui, sĂ©parĂ©s par l'estrade, ne se regardent jamais ? Les applaudissements triomphaux qui salueront l'Ă©quipe seront perturbĂ©s par quelques huĂ©es totalement immĂ©ritĂ©es.

J'avoue, pour ma part, être resté perplexe. La seconde partie, en revanche, n'est pas avare de moments formidables, et donne envie de réentendre Thielemann.