Quand on voit les pages admirables qu'ont laissées ces compositeurs, on s'étonnera toujours qu'aucun n'ait eu le prix de Rome ! Pourtant, l'alchimie des harmonies, la concision du langage et sa puissance dramatique attestent d'une élégance d'écriture rarement égalée. Le désespoir et l'aspiration à la quiétude forgent leur univers et habitaient aussi bien Ravel que Lekeu quand le premier écrivit son Trio et le second son Quatuor.

Lekeu intitule ses deux mouvements " Dans un emportement douloureux " puis " Lent et passionné ". La vigueur des attaques, la gravité du violoncelle, le brio du piano, la dynamique contrastée de la première section traduit une violente déchirure. Lui succède un épisode aux coloris diaphanes, effet d'une palette de nuances volontairement resserrée, et d'un récitatif presque monotone des cordes, nimbé des aiguës cristallins du piano.

Pourquoi n'a-t-on reconduit ce jeu vigoureux et sans afféterie pour Ravel ? Pour lui, les articulations s'alourdissent, les cordes sont moins différenciées et les tempi trop lents dans le Modéré et le Final génèrent un climat taciturne qui ne sied qu'à la Passacaille. Ailleurs, l'écriture limpide et colorée de Ravel ne se distingue pas et le violon souvent injuste avec les hauteurs n'arrange rien. Quant à ce supplément de noirceur qui semble la tonalité générale, est-ce bien l'esprit de ce Trio ?

Heureusement, la Pièce pour alto et piano de Chausson apporte une conclusion nostalgique et une sérénité délivrée des ténèbres qui assombrissaient Ravel. Mais ce rayon de lumière final n'aura pas totalement effacé une impression en demi-teinte pour l'ensemble du concert.