Les Klavierstücke opus 118 de Brahms qui ouvrent son récital Salle Pleyel sont impressionnants à cet égard. La richesse cachée de ces pièces, qu'elles soient extérieures ou intériorisées, apparaît comme par magie sous ces doigts capables des nuances les plus extrêmes en un dixième de seconde sans que l'on en ressente la moindre agression, le moindre choc susceptible de troubler le déroulement harmonieux propos musical.
Le son est beau, car les doigts entrent sans brutalité au fond du clavier même quand ils semblent seulement l'effleurer. Ce Brahms de l'Opus 118 n'est pas celui plus jeune, plus direct, plus fougueux, plus ouvertement lyrique de la sonate opus 5 jouée en deuxième partie.
Ici, on reste pantois mais surtout bouleversé, par la manière dont les amples structures de l'oeuvre sont si bien mises au service du grand message romantique de ces pages. Comme dans une cathédrale, on oublie vite les colonnes, les arcs boutant, les voûtes pour ne plus percevoir que l'élévation, la majesté et le flamboiement des vitraux.
Sensible, expressif, fort, lyrique ou métaphysique, le piano de Zimerman est tout cela tour à tour et parfois en même temps. L'artiste maîtrise absolue l'instrument et la pensée avec un naturel qui rejoint presque l'improvisation. Entre ces deux monuments brahmsiens, la sonate opus 110 de Beethoven sonne avec l'humeur et l'enthousiasme d'un romantisme différent, griffé de cette sensibilité d'écorché qui affleure sous presque toute l'oeuvre pianistique du compositeur.
Au sommet de son art, Zimerman sait aussi, comme jadis un Kempff ou Fischer, ou encore Katchen ou Arrau, changer le climat général de son toucher en fonction de chaque compositeur. C'est particulièrement gratifiant dans un programme comme celui-ci, où l'on va de Brahms à Beethoven pour revenir à Brahms ; un voyage initiatique sur certains des chemins les plus fondamentaux du romantisme.
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