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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Pénélope de Gabriel Fauré en version de concert avec l'Orchestre National de France dirigé par Claude Schnitzler.
Pénélope de Charybde en Scylla
Unique tentative opératique de Gabriel Fauré, Pénélope serait-il maudit des scènes lyriques? On ne l'entend pratiquement jamais, et quand, fait rarissime, un théâtre se risque à le sortir du purgatoire, l'infortunée compagne d'Ulysse subit elle aussi mille périls. La récente version de concert du TCE n'a pas failli à la triste règle.
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Pénélope devra se résigner à tisser longtemps encore sa toile, à la faire et à la défaire, avant de retrouver son improbable Ulysse, et surtout
son public. D'accord, l'oeuvre est difficile à défendre, et Fauré en fera les frais, car le succès remporté lors de la création parisienne, le 10 mai 1913, ne se renouvellera pas de sitôt. Les reprises qui suivront se solderont par des échecs sans appel, et Pénélope entrera au purgatoire, pour n'en sortir que de très rares fois, ou séduire de grandes interprètes (Régine Crespin, Jessye Norman) qui l'incarneront
au disque.
Fauré a soixante-cinq ans lorsque pour la première et la dernière fois il aborde l'opéra : un rêve ancien, longtemps différé, pour le musicien comblé d'honneur et le directeur du Conservatoire unanimement respecté qu'il est alors. Le poète René Fauchois lui a proposé un livret en cinq actes, tiré du dernier chant de L'Odyssée d'Homère, qui raconte le retour d'Ulysse à Ithaque après vingt années d'errance, et les ruses qu'il déploie pour chasser les prétendants à la main de Pénélope et au trône.
Mais les vers ampoulés de Fauchois, si peu faits pour le théâtre, agacent Fauré. Il corrige, retouche, supprime deux actes, renvoie Télémaque à sa nourrice, donne du corps au rôle de Pénélope, et se jette dans le travail. Resurgit alors le souvenir du coup fatal que vingt ans plus tôt , à Munich, lui avait porté la découverte de la Tétralogie de Wagner. Il n'hésite pas une seconde : " le système wagnérien est le meilleur, il n'y en a pas d'autre ! "
Mais l'utilisation du leit-motiv et du chromatisme intégral, la volonté d'établir une continuité musicale et dramatique, ne suffiront pas. C'est le système wagnérien appliqué à la lettre, sans Wagner, sans l'impérialisme de l'orchestre et sa somptuosité. " Il faut écouter Pénélope comme on écoute un quatuor à cordes, ou une symphonie classique ", recommande Jean-Michel Nectoux, grand maître es-Fauré.
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On s'y perd un peu, et on oublie la voix. C'est là pourtant où Fauré est le meilleur, en offrant au personnage de Pénélope des moments d'effusion magnifiques ("
le souvenir ardent des heures de délices où je brûlais d'amour entre les bras d'Ulysse
" au premier acte, ou "
Ulysse a rêvé contre mon sein
", au second). On ne demandait qu'à les entendre. Mais alors il fallait se montrer intraitable sur le choix des chanteurs. L'orchestre, qui a déjà beaucoup à dire, n'en est pas le maître et ne peut les aider à se fondre dans le tissu sonore. D'autant que la version de concert met la musique à nu et ne souffre pas la moindre défaillance.
Pénélope perd sa voix
Hélas ! Isabelle Vernet, dont la voix s'altère sérieusement, semble sans cesse se battre contre elle-même pour " tenir ". Les plaintes de Pénélope passent mal, mais les vociférations, oui. Etrange confusion des rôles : Pénélope n'est pas une guerrière, elle est femme plus que femme, amoureuse et loyale jusqu'à l'oubli de soi. Où s'est donc perdue la Vernet d'il y a huit ans qui, à l'Opéra de Nantes, la désignait pour longtemps comme la tenante du titre ?
Face à ces débordements, le Marseillais Luca Lombardo (Ulysse) semblait vocalement un peu à l'étroit dans la peau du héros à l'arc infaillible, visiblement absent au désespoir de la reine. Des cinq " prétendants ", franchement, seul François Leroux ( Eurymaque) avait quelque chance de faire croire à la noirceur de ses desseins (mais qui lui a suggéré de forcer le trait à ce point en grossissant exagérément la voix ?).
Quant aux cinq servantes de Pénélope, Elsa Maurus (Mélantho) était la seule que l'on écoutait sans frémir. Le timbre est toujours aussi beau et le tempérament dramatique réussit à s'exprimer malgré la brièveté des interventions. Heureusement Gilles Cachemaille ! Il est un Eumée (le berger d'Ulysse) qui chante comme il respire, avec une ligne vocale impeccable. Heureusement l'enfant-pâtre Douglas Duteil : vingt secondes de grâce, c'est peu, mais dans la désolation quasi générale, c'était bon à prendre.
Claude Schnitzler avait beau se dépenser sans compter pour tenter de trouver un semblant d'équilibre entre des voix en souffrance, un Orchestre National pourtant sincèrement engagé dans l'aventure, et des choeurs bien en place, mais singulièrement en quête d'intime conviction. Pénélope avait encore une fois toutes les raisons de s'affliger de son triste destin.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 14/06/2001 Françoise MALETTRA |
| Pénélope de Gabriel Fauré en version de concert avec l'Orchestre National de France dirigé par Claude Schnitzler. | Gabriel Fauré : Pénélope
Poème lyrique en trois actes et vingt scènes
Livret de René Fauchois d'après L'Odyssée d'Homère
Choeur de Radio France (Dir. François Polgar)
Orchestre National de Radio France
Direction : Claude Schnitzler
Avec Isabelle Vernet (Pénélope), Luca Lombardo ( Ulysse), Guy Flechter (Antinoüs), Gilles Cachemaille (Eumée), Sylvie Sullé (Euryclée), François Le Roux (Eurymaque), Elsa Maurus (Mélantho), Elodie Méchain ( Cléone), Douglas Duteil (Un Pâtre), Marie Boyer (Philo et Eurymone), Anne-Marie Hellot ( Lydie), Brigitte Vinson (Alkandre), Bertrand Dubois (Pisandre), PierreVaello Ctésippe). | |
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