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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Récital Maurizio Pollini à la Cité de la Musique.
Trop belles pour lui
Dans la foulée de son concert Bartok avec Pierre Boulez, Maurizio Pollini donnait un récital, lundi dernier, à la Cité de la Musique. Au programme, Liszt et Chopin, deux monuments pianistiques auxquels le pianiste italien a rendu un hommage virtuose et respectueux. Décidément trop respectueux.
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Dès son entrée sur la scène de la Cité de la Musique, on sentait bien que Pollini était assuré de sa victoire, et avant même qu'il ne prenne place au piano, le public n'a pas hésité à le lui faire savoir. Au fil des temps, la distinction naturelle de l'homme s'est confondue avec celle du pianiste : même élégance, même retenue, aucune affectation, mais aussi une certaine distance.
Pollini ne cherche pas à séduire, et sa technique, aussi impressionnante soit-elle, n'est pas là pour faire briller le virtuose et emporter l'adhésion des foules. Mais peut-on jouer Chopin et Liszt sans se départir une seconde d'une telle impassibilité ? Éternelle question. De Pollini, on a pourtant des souvenirs pleins la tête, au concert, au disque, où l'interprète semblait s'engager corps et âme.
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Mais la mémoire est parfois trompeuse et résiste à la réalité de l'instant. La lecture des Nocturnes était parfaite : un modèle de toucher, de phrasé, de modulations, de variations ; mais un modèle désincarné. Et la poésie fiévreuse, si troublante, de ces musiques de nuit, en était étrangement absente. La beauté se suffirait-elle d'être contemplée avec respect, sans qu'on ose l'interroger ?
Étonnant Pollini qui dans la Polonaise-Fantaisie organise avec une formidable intuition symphonique les tensions harmoniques et les précipitations qui parcourent le piano, et qui, dans le premier Scherzo fait entrer dans une danse infernale les démons qui oppressent la Pologne de Chopin l'exilé.
Entracte : la Sonate en si mineur de Liszt se mérite. Alors pourquoi, en effet, ne pas marquer le temps avec le court passage des Nuages gris, effleurés sur le clavier du bout des doigts, ou La lugubre gondole, sans excessive déploration. Mais voilà que la sublime Sonate se transforma en une course à l'abîme.
À une telle vitesse, la clarté de son architecture flamboyante, les subtiles métamorphoses des voix, la sécheresse des battues scandant le vif et le lent, sont diluées dans un océan de notes, de traits en rafales, d'où réussit miraculeusement à surgir la merveilleuse mélodie de l'andante, avant le retour à la fureur, stoppé net par les lourds accords annonçant l'apaisement final.
Humble virtuose, Pollini témoigne à ces partitions sublimes le même respect paralysé qu'inspirent les femmes de grande beauté à certains hommes. Est-il insolent de demander à un si grand interprète qu'il sache aussi les caresser, les toucher, voire les étreindre ? Où bien ces pages sont-elles décidément trop belles pour lui ?
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Cité de la Musique, Paris Le 25/06/2001 Françoise MALETTRA |
| Récital Maurizio Pollini à la Cité de la Musique.
| Frédéric Chopin : Nocturnes (n° 9, en si majeur, Op.32 n° 1 – n° 10, en la bémol majeur, Opus.32 N°2 – n°l5, en fa mineur, Op.55 n° 1 – n° 16, n en mi-bémol majeur, Op.55 n° 2), Polonaise-Fantaisie n° 7, en la bémol majeur, Op.61, Scherzo n° 1, en si mineur, Op.20
Franz Liszt : Nuages gris, La lugubre gondole, Sonate en si mineur | |
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