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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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" Rameau en clair-obscur ", spectacle Imaginé d'après La Tragédie Lyrique Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau.
Rameau ex machina
Etonnante initiative du Printemps des Arts de Nantes que de recréer en maquettes les machines de l'opéra baroque de Lully à Rameau. De quoi faire rêver à ce que seul le metteur en scène Eugène Green a pu tenter en grandeur nature à Prague. Pour habiller son exposition, Nantes proposait aussi un spectacle autour d'Hippolyte et Aricie.
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À l'époque baroque, un homme de bonne naissance ne marche pas, il se pavane. Et son désir d'apparaître est tel que pour le satisfaire, il lui faut un décor à sa mesure, voire à sa démesure. Et c'est l'opéra qui va le lui offrir, en imaginant de merveilleuses machines de rêve qui, par leurs mouvements, surpasseront les effets de la nature.
Déjà , au XVIIe siècle, l'excellent Abbé d'Aubignac, grand amateur de spectacles, écrivait : " le théâtre est une peinture parlante et agissante ". C'est exactement le projet du Printemps des Arts, qui chaque année réinvente la célébration baroque en convoquant les arts et les goûts réunis, et en ressuscitant cette " esthétique du plaisir " (selon l'expression de la musicologue Catherine Kintzler) qu'imposèrent les fêtes des siècles de Louis XIV et de Louis XV.
Passage obligé pour nous en donner la saveur : la Chapelle de l'Oratoire, où deux fous de baroque, l'architecte belge Michel Dumont et le décorateur Thierry Bosquet, ont réalisé à l'échelle d'un dixième la magnifique maquette d'un théâtre baroque. De la scène, reconstituée à l'identique, avec ses lustres, ses loges, ses ors et ses drapés, à la cage de scène, des cintres aux dessous, avec ses chemins cintres, ses fausses rues, ses trappes, ses trapillons, ses costières, ses nœuds, ses cordages, ses mâts, ses poulies, ses tambours et ses chariots (empruntés à la machinerie maritime), on entre dans les secrets d'atelier d'un laboratoire fabuleux où s'élaboraient les rêves
les plus baroques.
Les décors glissent, roulent, s'élèvent, se croisent, se combinent et s'annulent. Le ciel et l'enfer s'ouvrent aux dieux et aux héros, des forêts, des grottes apparaissent et disparaissent. C'est le règne du trompe-l'œil. Le char de Diane s'envole dans les airs, Neptune jaillit des flots entourés de monstres marins, des nuages menaçants envahissent la scène
Changement à vue : le soleil revient triomphant, miroir d'une société de cour qui se pâme. Le merveilleux s'empare de la fable et l'illusion remplit l'espace dans une chorégraphie de toiles peintes aux figures parfaitement réglées. Huit minutes trente de magie.
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En pénétrant quelques heures plus tard dans l'immense salle polyvalente de la Maison de la Culture de Loire-Atlantique pour assister à un spectacle autour d'Hippolyte et Aricie de Rameau, on était en droit de se demander si on allait retrouver en grandeur réelle la féerie et les métamorphoses promises par la surprenante maquette.
Donné sans les divertissements dansés, et sans la machinerie, avec de simples éléments de décor aux tonalités douces, évoquant l'intérieur du palais de Thésée, ce n'est plus l'enfer annoncé par Pluton qui s'ouvre devant nous, mais l'enfer domestique des amours brûlantes et contrariées : Thésée aime Phèdre qui aime Hippolyte qui aime Aricie
Et là Rameau pactise à sa manière avec Racine : c'est toujours l'art du bien chanter et du bien déclamer, mais dans un précipité de sensations charnelles où les passions sont à leur point extrême d'incandescence, où la parole s'infléchit, s'altère et brusquement s'envole.
Philippe Lenaël qui signe la mise en scène, applique à la lettre les codes de la rhétorique baroque du geste, de l'attitude et du marcher-coulé, mais sans raideur, avec l'élégance et la légèreté dansante qu'exigent l'extraordinaire mobilité de la musique dans son rapport au texte. Parés des costumes d'un raffinement inouï de Thierry Bosquet, Isabelle Desrochers est une ravissante Aricie à la vocalité aérienne mais ténue, Sylvia Kevorkian est une Phèdre aux beaux accents tragiques, mais souvent instables.
Pour sa part, Jean-François Novelli est un Hippolyte déchiré et déchirant, dont la qualité du timbre et l'articulation impeccable compensent le manque d'ampleur vocale. L'ensemble Stradivaria de Daniel Cuiller et le choeur, déployés en fond de scène, maintiennent vaillamment une juste pulsation rythmique, tout en laissant les instruments " à couleurs " (essentiellement les flûtes et les bassons) prendre le dessus pour dialoguer de très près avec les chanteurs. Autant de matière pour rêver que l'expérience de recréation des scènes baroques dépasse le stade de la maison de poupée.
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Espace 44, Nantes Le 06/06/2001 Françoise MALETTRA |
| " Rameau en clair-obscur ", spectacle Imaginé d'après La Tragédie Lyrique Hippolyte et Aricie de Jean-Philippe Rameau.
| Ensemble Stradivaria, ensemble vocal de Nantes
Direction : Daniel Cuiller.
DĂ©cors et costumes : Thierry Bosquet
Mise en scène : Philippe Lenaël
Avec Isabelle Desrochers (Aricie), Sylvia Kevorkian (Phèdre), Jean-François Novelli (Hippolyte), Stephane Jaouen (allégorie De la mort)
L'Exposition " Les machines du rĂŞve " (Chapelle de l'Oratoire, jusqu'au 13 juillet 2001)
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