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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Concert de l'Orchestre Philharmonique de Vienne sous la direction de Pierre Boulez au festival de Salzbourg 2001.
Salzbourg 2001 (3):
Gouffre symphonique
Pour le centième anniversaire de la disparition de Bruckner en 1996, Pierre Boulez avait donné à St Florian une exécution mémorable de la 8e symphonie. À Salzbourg, il vient de s'attaquer à la 9e symphonie du compositeur autrichien avec le concours des Wiener Philharmoniker. Un concert attendu non sans raison.
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En guise d'apéritif, Pierre Boulez a retenu les Quatre pièces op.12 de Béla Bartók. Après Aix et le Châtelet, on sait à quel point l'affinité du chef pour le compositeur hongrois a mûri. Une fois encore, la direction analytique à l'extrême et le sens aigu des contrastes et du détail du Français composent un Bartók infiniment riche et prodigieusement coloré de cuivres et de timbales comme à la fête. C'est tout juste si l'on retient une première pièce un peu moins impliquée, au solo de flûte timide et à la mise en place flottante, le temps sans doute pour l'orchestre de chauffer archets mais aussi lèvres, doigts et baguettes.
Pour Bruckner, l'orchestre atteint la bonne température. Le premier mouvement de cette 9e symphonie débute dans un pianissimo presque inaudible, instaurant un climat sombre et énigmatique. La lenteur imprimée à ce mouvement est saisissante, seuls Bernstein et Giulini l'avaient déjà osée, cependant, Boulez est lui généralement considéré comme un chef rapide dans ce répertoire.
On sait aussi sa volonté constante de faire ressortir la modernité des oeuvres du passé qu'il interprète. Ici, jouant à souligner les audaces harmoniques de la partition, il met un point d'honneur à mettre en valeur des éléments jamais entendus, comme des motifs aux cors bouchés et des accents de cuivres habituellement estompés au profit des phrases lyriques des cordes.
Gouffre dantesque
Mais Boulez surprend aussi par une qualité qu'il a acquise plus tardivement : la souplesse. Dans la fresque brucknérienne, il ménage toujours des transitions qui paraissent naturelles et parfois, laisse même un court point d'orgue de silence avant d'attaquer un nouvel épisode. Mais dans les passages dramatiques en tutti, Boulez tire des viennois une puissance redoutable, la coda du premier mouvement en particulier.
Le deuxième mouvement est bien le véritable maelström sonore que le musicologue Harry Halbreich définissait comme : un gouffre dantesque, un enfer où se tordent ceux qui ont refusé l'espérance. À l'instar d'un Jochum, le tempo très rapide donne ici une impression de panique, tout comme les couleurs crues de l'orchestre : les cors une fois de plus mais aussi les trompettes taillées à la serpe. Boulez aura également revisité cette musique au niveau des coups d'archet. Ce ne sont pas les coups d'archet "tiré" de la scansion principale qui impressionnent, mais la systématisation des coups "poussé" dans la descente qui suit.
Après un Trio dont les triolets rassurants ménagent un indispensable répit, le finale renoue avec la lenteur du premier mouvement, avec ses angoisses aussi. Dès les premières mesures sourd une douleur rentrée trahie par la nuance seulement forte.
Là où un Bernstein lui donnait des allures de combat ou de cri, avec des cordes fortissimo, Boulez, lui, lance un long appel résigné. Cette conduite ne rend que plus majestueuse l'entrée des cuivres fortissimo quelques mesures plus loin. Tout le mouvement fonctionnera ainsi, dans un tempo lent d'une régularité implacable.
Seules la grande montée au climax et la coda sont prises dans un tempo plus allant, presque trop rapide compte tenu de ce qui précède. Néanmoins, le climax est terrible, avec des roulements de timbales d'une puissance phénoménale, des cordes et des cuivres déchaînés, La coda, toute droite, marque une légère baisse de régime, seul bémol à cette lecture d'une modernité décidément sidérante.
Certains auront pu noter un Philharmonique de Vienne techniquement un peu moins affuté qu'à l'accoutumée, avec le premier violon de Rainer Küchl beaucoup trop en dehors, de légers flottements rythmiques – sans doute dus à la gestique à l'allemande de Boulez – et quelques accrocs ça et là . Sans doute auront-ils été effrayés par le gouffre symphonique dans lequel Boulez les a précipités d'une poigne impitoyable.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 29/07/2001 Yannick MILLON |
| Concert de l'Orchestre Philharmonique de Vienne sous la direction de Pierre Boulez au festival de Salzbourg 2001. | BĂ©la BartĂłk (1881-1945)
Quatre pièces pour orchestre op.12 (Sz51)
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n° 9 en ré mineur
Wiener Philharmoniker
direction : Pierre Boulez | |
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