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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Intégrale des trois livres des Années de Pèlerinage de Frans Liszt par Nicholas Angelich au festival de la Roque d'Anthéron.
Pèlerinage à mains nues
En matière de défis pianistiques, l'idée d'une intégrale des Années de Pèlerinage de Franz Liszt en un seul concert, soit près de trois heures de musique, paraît des plus folles. C'est pourtant la gageure tentée et accomplie par Nicholas Angelich, à la Roque d'Anthéron, le 16 août dernier.
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Près de dix-huit cents amateurs de piano, dont aucun ne manquait à l'appel à la fin de ce marathon, ovationnaient ce 16 août au Parc du Château de Florans le jeune Nicholas Angelich qui venait de donner un de ces récitals qui marquent autant la vie d'un concertiste que celle de ses auditeurs.
Car il fallait oser livrer en trois parties d'une heure environ chacune l'intégralité des trois livres des Années de Pèlerinage de Liszt. Oser le risque physique : il y a dans ces pièces des monstres pianistiques. Oser le parcours musical : les chef-d'oeuvre que sont, individuellement, ces pièces de durées et de caractères très divers, entre trois et quinze minutes.
Allaient-ils résister à leur accumulation, à leur rapprochement ? Ne fallait-il pas craindre une probable lassitude ? Si le disque rend possible une telle somme d'écoute, qu'en est-il du concert ? On imagine aisément que le pianiste et l'organisateur ont dû se poser la question.
Les oeuvres ont été écrites sur une durée de composition très longue, entre 1849 et 1877, et dans des contextes très différents : un voyage en Suisse et en Italie chargés de passion pour Marie d'Agoult dans le premier et le deuxième livre, une inspiration chargée de mysticisme et de recherche sonores dans le tardif troisième livre écrit par Liszt devenu abbé.
Toutes ces descriptions de paysages, ces étapes musicales, ces explorations de la matière sonore (et pas seulement dans la Troisième année), semblent par leur proximité se répondre pour offrir une palette infinie de sensations, de vécu, d'imaginaire, d'instantané, qui plongent dans l'intimité du compositeur, dans le secret du pianiste, dans la respiration de l'auditeur.
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La silhouette de Brahms ?
Angelich possède un physique imposant, tout en rondeurs, tout en douceur, et en puissance. Assis assez loin du piano, dans une position à la fois majestueuse et sereine, il fait penser à une silhouette connue de Brahms.
Ses mains sont fines, assez grandes, elles contrastent avec son grand corps auquel sied parfaitement le frac. Son visage rond est expressif mais il ne force jamais le trait. Parfois on y lit une farouche détermination, une volonté de fer qui contraste avec la douceur de son expression habituelle.
Sa palette sonore est exceptionnelle. Son jeu est tour à tour lumineux, perlé, enrobé dans un halo de pédale maîtrisée, puissant dans les graves, d'une douceur infinie dans les aigus. Sa virtuosité est sans faille : il faut avoir entendu ses octaves alternées, ses batteries d'accords, ses trilles hallucinées.
Mais elle n'est jamais démonstrative : elle accompagne toujours le chant de l'âme de ce poète, elle exprime dans le délire des doigts l'émotion pure, la jubilation ; celle-là même qui transforma jadis Franz Liszt de fougueux amant qui visita l'Italie en compagnie de l'amoureuse, en abbé qui composa Messes et Années de pèlerinage III.
Au final, ce concert était une expérience spirituelle qui donnait une profonde impression d'unité. Rendons grâce au pianiste d'être parvenu à retracer l'itinéraire de cette quête artistique avec la conviction d'un humble et fervent pèlerin en terre sainte pour qui les kilomètres ne comptent pas ; même quand il ne marche qu'avec ses mains !
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