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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Ariane Ă Naxos de Richard Strauss au festival de Salzbourg 2001.
Salzbourg 2001 (6):
Ariane contre les sales bourgeois
Deborah Polaski
Depuis 1982, date à laquelle Sawallisch avait repris la production de Dieter Dorn à l'origine dirigée par Böhm, Salzbourg n'avait pas programmé Ariane à Naxos. Pour son dernier festival, Gérard Mortier a suscité une mise en scène très iconoclaste qui n'hésite pas à s'en prendre directement au public salzbourgeois.
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Comme il le déclarait récemment, Gérard Mortier a été très déçu au cours de ses dix années à Salzbourg par un public bourgeois désespérément stupide. Le travail qu'il a demandé à Wieler et Morabito prend des allures de manifeste.
Critique ouverte contre le public salzbourgeois, leur mise en scène amère et désillusionnée, aux éclairages blafards, fut sifflée. La scène représente le hall du Grosses Festspielhaus avec un buste de Karajan. La crise cardiaque du maître de musique à la fin du prologue est la conséquence de la pression infligée par des mécènes ignorant la cohérence artistique.
La mise en scène fait de Brighella un minet gay se baladant torse nu avec l'inscription " I am the truth " sur la poitrine. Zerbinette est une petite putain entourée de balourds gras et vulgaires, véritables rockers dépravés. Wieler et Morabito montrent alors au public visé que la vraie vie, la vérité (" the truth "), se situe dans le monde réel et pas dans sa bulle bourgeoise. Ils vont jusqu'à attaquer directement le public : lorsque les quatre soupirants recherchent leur petite putain, la salle s'allume. Autant d'idées excellentes et osées.
Malheureusement, la direction d'acteurs n'est guère efficace, et certains passages se révèlent longuets. De manière générale, l'opéra est moins convaincant que le prologue, à la fin si angoissante. En revanche, la conception du rôle de Zerbinette est originale et des plus intéressantes. Elle devient le personnage central qui fait le lien entre le Compositeur et Ariane.
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Clairvoyante, elle seule comprend le mystère de la " métamorphose ", qui échappe autant au compositeur qu'à Ariane ou Bacchus. Elle n'est ici ni pétillante ni insouciante mais profondément marquée par ses expériences avec les hommes ; elle paraît, à l'instar d'Ariane, dépressive.
Cette dernière, qui noie son chagrin dans l'alcool, est pathétique, affalée sur son divan dans une robe de chambre aux couleurs tristes, le regard perdu dans le vague. Elle paraît parfois un peu ridicule, tout comme les trois nymphes vieillies, habillées en femmes de ménage. La mise en scène manque néanmoins souvent de légèreté, jurant beaucoup avec la superbe musique qui émerge de la fosse.
Des Wiener Philharmoniker d'un raffinement inouĂŻ
Justement, l'orchestre distille un raffinement de timbres inouï. Il déroule un tapis somptueux pour les chanteurs et la synchronisation avec le plateau vocal est irréprochable. Analytique et narrative, la direction de Dohnanyi est sage mais se délecte de la beauté des Wiener Philharmoniker. Et si la bacchanale et le grand crescendo final manquent réellement de folie, ils restent conformes à la mise en scène.
La distribution, elle, est très solide. À part un Majordome soporifique, au débit laborieux, le prologue verra la réussite d'un plateau quasiment idéal. Le compositeur de Susan Graham, malgré un jeu scénique un rien surfait, est admirable, avec l'ombre sur le timbre qui convient si bien aux rôles d'adolescents.
John Bröcheler, très en voix, est un Maître de musique tellement humain et surmené qu'il en mourra. Ajoutons à cela le Maître à danser parfait de Jeffrey Francis, perfide et ironique à souhait. L'opéra ne décevra pas non plus.
Très attendue, Deborah Polaski, chez qui le meilleur côtoie souvent le pire, est une excellente actrice, tant en Prima Donna qu'en Ariane. Ici, elle se joue sans peine des difficultés du grave de la partition, et ses aigus difficiles ou son vibrato envahissant n'enlèvent rien à cette incarnation grandiose et souveraine.
Jon Villars est un véritable phénomène, Bacchus d'une virilité exacerbée, avec sa voix à la puissance incroyable, couvrant parfois l'orchestre entier. Natalie Dessay est un modèle vocal, une Zerbinette aux coloratures impeccables. Malgré une voix un peu petite, sa prestation exemplaire lui a valu des applaudissements nourris, tout comme celle des trois nymphes aux voix vaillantes. En revanche, le quatuor " Commedia dell'Arte " inconsistant, avec l'Arlequin moyen de Russell Braun, laisse indifférent.
Musicalement très au point, ce spectacle laisse finalement une impression amère de par sa mise en scène questionnante et si foncièrement corrosive. On aurait voulu rendre hommage à Thomas Bernhardt, cet homme de théâtre qui a consacré sa vie et son oeuvre à vilipender ses compatriotes autrichiens, que l'on ne s'y serait pas mieux pris.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 21/08/2001 Yannick MILLON |
| Nouvelle production d'Ariane Ă Naxos de Richard Strauss au festival de Salzbourg 2001. | Ariane Ă Naxos, op.60
Opéra en un acte (précédé d'un prologue) de Richard Strauss.
Version complète de 1916
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Orchestre Philharmonique de Vienne
Direction : Christoph von Dohnanyi
Mise en scène : Jossi Wieler et Sergio Morabito
DĂ©cors et costumes : Anna Viebrock
Eclairages : David Finn
Avec :
Prologue :
André Jung (le Majordome), John Bröcheler (le Maître de musique), Susan Graham (le Compositeur), Jon Villars (le Ténor), Deborah Polaski (Prima Donna), Natalie Dessay (Zerbinetta), Jeffrey Francis (le Maître à danser), Markus Eiche (un perruquier), Friedemann Röhling (un laquais), Michael Kristensen (un officier).
Opéra :
Deborah Polaski (Ariane), Jon Villars (Bacchus), Diana Damrau (Naïade), Alice Coote (Dryade), Martina Jankova (Echo), Natalie Dessay (Zerbinetta), Russell Braun (Harlequin), Gert Henning-Jensen (Brighella), Heinz Göhring (Scaramuccio), Franz-Josef Selig (Truffaldin)
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