Un piano noyé dans la végétation exotique du Pavillon des Azalées des Serres d'Auteuil, à l'orée du bois de Boulogne : pendant huit dimanches, les " Nouveaux Solistes ", parmi les plus doués de leur génération, vont se succéder à 18 h 30 pour une heure de musique, en récital, en trio ou en quatuor.

Au programme : répertoire et musique contemporaine. Si certains ont déjà un nom reconnu, et souvent une discographie bien engagée, d'autres devraient saisir la chance que leur offre Anne-Marie Réby, organisatrice du cycle pour la deuxième année.

L'atmosphère est chaleureuse, tout le monde peut entrer, pour 30 francs seulement. Les premiers arrivés sont assis, les derniers restent debout ou accroupis, mais visiblement heureux d'être là.

Dimanche dernier, le coup d'envoi était donné par la piniste Claire-Marie Le Guay. Auréolée de plusieurs grands prix internationaux, " Victoire de la Musique " en 1997, trois disques plus que favorablement accueillis par la critique, elle entre, toute de charme et de blondeur, fait une courte présentation des oeuvres, et commence en douceur, avec Les yeux clos du japonais Toru Takemitsu.

Huit minutes de déambulation dans la mémoire, de souvenirs qui se superposent, se brouillent et se diluent en longues phrases méditatives, comme des pages arrachées à la vie de l'ami disparu auquel elles sont dédiées. Claire-Marie Le Guay en donne une vision pénétrée, d'une sensibilité proche de la pudeur dans ses accents et ses sonorités voilées.

Ainsi ces choses intimes doivent-elles être dites, surtout quand il s'agit d'enchaîner avec la flamboyante fête païenne de Daphnis et Chloé. Lorsque l'on sait que la partition, commandée par Serge Diaghilev pour la saison des Ballets Russes de 1912, fut composée pour le piano, deux ans avant la version orchestrale, on s'aperçoit à quel point elle porte en elle toutes les ressources symphoniques de l'instrument.

Même s'il y manque la rutilance de l'orchestre, l'illusion est presque parfaite, pourvu que l'interprète ait une maîtrise absolue de la construction et de la dynamique d'une oeuvre où explosent à la fois la frénésie de la danse et l'émerveillement des deux jeunes amants.

Il faut du souffle (la suite dure une heure), de l'élégance et des doigts d'acier. Or, Claire-Marie Le Guay en a à revendre. Elle a conduit la folle bacchanale avec l'énergie de la barbare, et la sensualité de l'adolescente initiée à l'amour. Sous serres, pas étonnant qu'une si belle plante pianistique trouve une atmosphère favorable à son épanouissement.