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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production des Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart au Théâtre des Champs-Élysées.
René Jacobs
convole en justes noces
Pietro Spagnoli incarne le Comte Almaviva (© Alvaro Yanez)
Alors que le Cosi fan Tutte, donné l'an passé par René Jacobs, fut grandement loué pour son interprétation musicale, le chef belge dû souffrir un mauvais mariage avec un metteur en scène chinois iconoclaste. Il n'a pas refait la même erreur pour la nouvelle production des Noces de Figaro au Théâtre des Champs-Élysées.
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Auteur de plusieurs ouvrages sur l'opéra, notamment un subtil " Voyages à l'intérieur de l'opéra baroque " chez Fayard, Jean-Louis Martinoty est le prototype du metteur en scène érudit qui connaît à fond son XVIIIe siècle. Il a déjà collaboré plusieurs fois avec René Jacobs, lequel garde un mauvais souvenir de son expérience avec Chen Shi-Zheng l'an passé.
D'emblée, Martinoty installe l'action des Noces dans un cadre de scène bancal qui semble dénoncer l'espace scénique classique. Comme les lignes de fuite du décor signé Hans Schavernoch n'obéissent pas aux principes stricts de la perspective, on peut le lire, dès la première image comme une mise en abîme de l'action.
D'autant plus que le célèbre décompte de Figaro qui mesure la taille de son lit nuptial dans la première scène, s'effectue dans un univers de meubles démontés, dans un capharnaüm calculé de tableaux posés par terre ou suspendus de guingois. Si l'on ne le savait déjà , ce décor parlerait de lui-même d'un monde dont Beaumarchais, Da Ponte et Mozart pressentent génialement la destruction.
Ces toiles, montrant vanités et natures mortes, ajoutées, déplacées ou supprimées au cours des quatre actes, vont créer un espace pictural éloquent. C'est elles qui disent ce qui est caché derrière l'action, elles commentent la musique, elles parlent pour les auteurs. Ici, le décor dévoile déjà ce qu'il y a derrière l'intrigue.
On va ainsi de la remise des objets inutiles dans le premier acte, comme si les valets allaient disparaître dans les greniers de l'histoire, au Cabinet de curiosités des maîtres au troisième, où le Comte médite sur l'existence et sur la mort en se saisissant d'objets divers, crânes, fossiles etc., à l'image de ces aristocrates collectionneurs qui liront ou participeront à la rédaction de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.
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Le sens révolutionnaire des Noces
Par de nombreux détails, Martinoty parle du sens révolutionnaire de cet opéra pendant que René Jacobs, superbement inspiré, emmène les protagonistes dans leur folle journée.
Plus que tout autre élément, le tempo est ce qui lie l'action et la musique. René Jacobs dirige d'un bras souple, accordant le tempo aux exigences scéniques autant qu'au caractère des airs. Son orchestre a une sonorité incisive, très crue, faisant la part belle aux détails d'instrumentation.
Il sait comme personne rendre libres ses musiciens, notamment le continuo, qui accompagne les récitatifs avec impertinence et vivacité, mais toujours avec imagination et originalité. Grâce à la fantaisie dont ils sont habillés, notamment par le pianofortiste Nicolau de Figueredo, ceux-ci prennent une place tout aussi captivante que les airs et les ensembles.
C'est pendant les récitatifs que la direction d'acteurs de Martinoty est la plus virtuose. On se surprend ainsi à oublier le chant au profit d'un ravissement qui tient autant au jeu des chanteurs comédiens qu'au cadre dans lequel ils évoluent, et qu'aux récits qu'ils chantent en donnant l'impression de les parler. Du théâtre en musique comme jamais.
Du côté des chanteurs, homogénéité de style. Pietro Spagnoli campe un Comte Almaviva agité et pathétique. Sa voix claire en fait un jeune homme un peu perdu qui manque d'assurance dans ses airs de colère ( " Hai già vinta la causa ") et le rend juvénile lorsqu'il demande pardon à la fin du quatrième acte.
VĂ©ronique Gens, la Comtesse Almaviva, ne tombe pas dans le travers de la grande dame froide, elle chante avec une distance aristocratique, mais elle est touchante dans ses confidences, et gamine dans ses projets de vengeance.
La Suzanna de Patrizia Ciofi ne force pas le trait. Elle est alerte, piquante, pimpante, comme il se doit, mais juste assez et jamais trop. De son côté, le Figaro de Lorenzo Regazzo est inquiétant et paraît presque aussi intrigant qu'un Don Giovanni.
On n'oubliera pas la seconde intrigue, celle des origines familiales de Figaro. Dans cette mise en scène, la nouvelle famille de Figaro donne à l'action un coup de fouet supplémentaire tout en évitant de tomber dans la caricature. Plus qu'un éclat de rire de commedia dell'arte, cette surprise réservée par le livret donne de l'humanité aux personnages et n'apparaît pas, comme c'est la plupart du temps le cas, comme un ajout pas très nécessaire à la dramaturgie.
Reste l'indispensable conclusion de la Trilogie, ce Don Giovanni dont il faudra se languir encore deux ans avant de revivre pareilles noces.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 15/10/2001 Olivier BERNAGER |
| Nouvelle production des Noces de Figaro de Wolfgang Amadeus Mozart au Théâtre des Champs-Élysées. | Choeur du Théâtre des Champs-Élysées
Concerto Köln
Direction musicale : René Jacobs
mise en scène : Jean-Louis Martinoty
Décors : Han Schavernoch
Lumières : Jean Kalman
Costumes : Sylvie de Segonzac
Avec Pietro Spagnoli (Le Comte Almaviva), VĂ©ronique Gens (La Comtesse Almaviva), Patrizia Ciofi (Suzanna), Lorenzo Regazzo (Figaro), Monica Bacelli (Cherubino), Sophie Pondjiclis (Marcellina), Alexandro Svab (Antonio), Antonio Abete (Bartolo), Peter Hoare (Don Basilio), Carla di Censo (Barberina), Serge Goubioud (Don Curzio). | |
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