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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création intégrale du Cycle des Hivers (1992-2001) du compositeur Hugues Dufourt.
Les délices de la bise
© Richard Mercier
Un philosophe médite, cela va de soi, mais habituellement il le fait dans la solitude et le secret. Philosophe et musicien, Hugues Dufourt a choisi de le faire au Louvre devant les toiles de Poussin, Rembrandt, Bruegel l'ancien et Francesco Guardi. Cela lui a inspiré plus de deux heures de musique intitulée le Cycle des Hivers.
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La méditation d'Hugues Dufourt fut longue, très longue, comme le fut la lente maturation du Cycle des Hivers qui en est résulté, présenté vendredi dernier dans son intégralité au Théâtre du Chatelet : deux heures vingt de musique, qui ont vu quelques défections parmi le public, un public pourtant spécialisé, donc averti, et en majorité plus que favorable.
Mais c'était le souhait du compositeur de faire entendre dans son entier cette immense fresque symphonique en quatre parties, inspirée de chefs-d'oeuvre d'artistes exprimant l'hiver, l'hiver et ses forces destructrices, l'hiver des paysages glacés, l'hiver de la désolation des travaux et des jours, l'hiver de la vie : " Je m'enferme dans mon problème, et je vais jusqu'au bout ".
Ce " problème ", c'est la réappropriation par l'art du timbre de la palette du peintre, en construisant un espace sonore en analogie avec son espace plastique. Et c'est vrai que pour Hugues Dufourt, la fréquentation de la peinture se confond depuis toujours avec celle de la philosophie.
Mais ce Vénitien d'origine, qui sera plus tard l'élève de Gilles Deleuze, prévient que la peinture ancienne est pour lui "
une façon d'interroger l'histoire, les grands thèmes de l'existence, celui du délaissement, du mal radical et de la colère chez Bruegel, celui du déluge, qui veut dire génocide, chez Poussin (
) cette sensibilité à l'éphémère devant la survie d'un monde en ruines, chez Guardi. "
Pourtant, le musicien voit aussi dans la peinture du vingtième siècle : " une expression directe, un équivalent intelligible, immédiatement perceptible de l'évolution de la musique, ce qui répondait à mon refus de toute représentation traditionnelle, comme je l'ai fait pour " Lucifer " d'après Pollock. "
Investigations extra-musicales
On sent bien chez Hugues Dufourt cette nécessité d'explorer des secteurs de la sensibilité qui excèdent le domaine étroitement et spécifiquement musical. Ce qui le retient dans une peinture c'est cette " sonorité intérieure " dont parlait Kandinsky, et son pouvoir, ici essentiellement chez les anciens, de capter la singularité d'une époque, d'une civilisation, ce que la musique seule ne parvient que partiellement à exprimer.
De fait, ce qui est donné à voir dans Le Cycle des hivers, est le lent écoulement d'une saison et les tragédies dont elle fixe les images : le Déluge meurtrier de Poussin, le dernier embrasement de l'esprit chez le vieux Philosophe de Rembrandt, la marche harassante et sans issue des Chasseurs dans la neige de Bruegel, ou La gondole vénitienne noyée dans le brouillard d'une cité qui inexorablement se meurt.
En grand orchestrateur, Hugues Dufourt traite le timbre comme le peintre la couleur, il le dramatise et lui donne un rôle narratif, en multipliant les combinaisons instrumentales tissées dans la trame de l'idée principale, sans jamais altérer la construction du tableau et le développement de la pensée musicale.
Il en résulte une partition d'une facture extrêmement subtile et raffinée, un modèle de maîtrise de la grande forme. Cette même maîtrise dont Dominique My et l'Ensemble Modern ont fait une démonstration impressionnante, et méritoire, car la mission demandait un souffle aussi profond qu'un hiver du grand nord. Ils ont donné à cette longue introspection une tension et une force qui ferait presque aimer les rigueurs de l'hiver et goûter les délices de la bise.
Lire aussi l'article moins favorable de Philippe Venturini.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 09/11/2001 Françoise MALETTRA |
| Création intégrale du Cycle des Hivers (1992-2001) du compositeur Hugues Dufourt.
| Quatre tableaux : Le Déluge d'après Poussin, Le Philosophe selon Rembrandt, Les Chasseurs dans la neige d'après Bruegel, La Gondole sur la lagune d'après Guardi
Ensemble Modern
Direction : Dominique My | |
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