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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Week-end " Carte blanche à Magnus Lindberg ".
Un déluge de vitamines
Esa-Pekka Salonen
(© Kira Gluschkoff-Sony Music)
La cité de la musique a laissé, le temps d'un week-end " carte blanche à Magnus Lindberg ". Le compositeur finlandais a choisi de la partager avec son compatriote Esa-Pekka Salonen et l'Orchestre Philharmonia de Londres, pour un programme original mariant Bartók, Stravinsky, Lutoslawski, et Lindberg lui-même bien sûr.
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Tous les compositeurs retenus pour ce programme intelligent et rare figurent en haut du panthéon de Salonen et on se souvient que Lindberg a déjà rendu explicitement hommage à Lutoslawski avec Aura, une vaste pièce orchestrale.
Le Livre pour orchestre ouvrait le premier concert et Salonen s'est montré aussitôt à la hauteur des immenses dons qu'on lui connaît : lisibilité des lignes instrumentales, finesse des gradations dynamiques et maîtrise des oppositions tension-détente.
Le " modernisme barbare " des années 1910 triomphait dans chacun des deux concerts : Le Mandarin merveilleux de Bartók (suite d'orchestre et non ballet intégral) et Le Sacre du printemps de Stravinsky. Comme on pouvait l'imaginer, le Bartók fut vif, tranchant comme l'acier, impressionnant de brio instrumental, claironnant d'énergie brute.
Mais le regard moral du compositeur et le cri désespéré de ce drame sordide ont rarement percé derrière l'éclat des couleurs et la frénésie des rythmes. Trop hollywoodien et sans arrière plan ? Sans doute, mais diablement efficace quand même.
Mettre Kraft (1985) de Lindberg en regard de cet expressionnisme hurleur va presque de soi. Ce cataclysme qui s'abat une demi-heure durant sur l'orchestre et le public (" Kraft " signifie " force " en allemand) prête quelques échos à la musique de Bartók.
Cette pièce, qui demeure une des plus fameuses de son auteur, requiert en plus d'un grand orchestre symphonique, six solistes, en l'occurrence ceux de l'Ensemble Toimii (qui signifie " Ça marche ! " en finlandais), groupe d'avant-garde auquel appartiennent Lindberg et Salonen : un clarinettiste, un pianiste (Lindberg, en personne), un violoncelliste, deux percussionnistes et un ingénieur du son maître d'une immense console électronique.
La plupart de ces musiciens auront par ailleurs à manier aussi la percussion et à circuler à travers la salle de concert. " J'ai voulu utiliser l'espace et plonger dans le son " explique, en français, Lindberg, avant l'exécution de son oeuvre. L'électronique sert en effet à amplifier le son des instruments solistes et à le faire circuler à travers les enceintes qui équipent la salle.
Une véritable batterie de cuisine
En plus des traditionnels tam-tams chinois (de toutes tailles) et timbales, les solistes disposent d'un amusant arsenal : galets, bidon métallique cabossé et rouillé, batterie de cuisine fatiguée, énorme ressort métallique, pièces de tôle diverses, seaux d'eau et paille (pour faire des bulles). Vêtus de blanc (polo, jeans et tennis), les six compères semblent prendre plaisir à " troubler " le cérémonial du concert.
Si la partition réussit immanquablement son effet " bulldozer " et saisit l'auditeur par sa puissance tellurique, on peut cependant s'interroger sur la nécessité d'un aussi vaste orchestre symphonique, souvent masqué par les instruments amplifiés. Quant à la projection des sons électroniques, elle reste assez primaire : un simple mouvement circulaire, d'une enceinte à l'autre, impulsé en tournant avec frénésie un " joystick ", tel un gamin devant une console de jeux vidéo. Le compositeur a pourtant passé un an pour établir le programme informatique
Mais c'était au début des années quatre-vingt.
Dans le second concert, Paata Burchuladze rend inutile toute mise en scène des extraits de Boris Godounov (scène du couronnement, scène de la folie et mort de Boris). La puissance et la conduite de la voix, le regard halluciné et la justesse de quelques gestes sont le théâtre même.
Composé en 1998-1999 à la demande de l'Orchestre de Cleveland, Cantigas signale l'évolution esthétique de Lindberg depuis le début des années quatre-vingt-dix. Cette pièce de vingt minutes arbore une musculature aussi tendue et puissante que Kraft (les timbaliers et les cuivres ne se reposent pas) mais un visage plus amène, une modernité plus tranquille, plus conciliante.
L'écriture orchestrale n'en demeure pas moins ébouriffante, capable de tirer des lignes claires à travers un magma sonore. Il va sans dire que Salonen est l'homme de la situation et conduit son orchestre avec une baguette à tête chercheuse.
C'est pourtant Le Sacre du printemps qui constituait l'apothéose de ces deux concerts et avait attiré un public trop nombreux (la cité de la musique n'a pu honorer toutes les demandes). Le Sacre par Salonen reste toujours un événement, une expérience physique, nerveuse et psychique très forte.
La diversité des tempos, l'extraordinaire variété de couleurs, la stupéfiante précision rythmique et la vigueur ravageuse de sa direction qui jamais ne raidissent le geste musical, sa façon de distribuer une énergie qui semble infinie ont fait crouler la salle d'enthousiasme.
Après un tel déluge de vitamines, le spectateur forcément dopé aura de quoi tenir jusqu'au retour des compères Salonen et Lindberg, dans cette même Cité bienheureuse le 9 février prochain.
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Cité de la Musique, Paris Le 24/11/2001 Philippe VENTURINI |
| Week-end " Carte blanche à Magnus Lindberg ". | Vendredi 23 novembre 2001 à 20 heures
Witold Lutoslawski : Livre pour orchestre
Béla Bartók : Le Mandarin merveilleux, suite d'orchestre
Magnus Lindberg : Kraft
Orchestre Philharmonia,
Direction : Esa-Pekka Salonen
Avec l'Ensemble Toimii
Samedi 24Â novembre 2001 Ã 20Â heures
Modeste Moussorgski : Boris Godounov (extraits)
Magnus Lindberg : Cantigas
Igor Stravinsky : Le Sacre de printemps
Orchestre Philharmonia,
Direction : Esa-Pekka Salonen
Avec Paata Burchuladze, basse | |
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