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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Hommage à Witold Lutoslawski dans cadre des " Figures de la poésie " de Radio-France.

Chung mène l'enquête
© Radio-France / Christophe Abramowitz

La preuve est faite : l'Orchestre Philharmonique de Radio France affirme de plus en plus sa différence et Myung-Whun Chung lui en donne les moyens. En témoigne ce concert entièrement consacré au polonais Witold Lutoslawski disparu en 1994. Un exercice de style dont les clés n'étaient évidentes à trouver.
 

Le 18/01/2002
Françoise MALETTRA
 



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  • La musique de Lutoslawski ne tient que par un jeu d'équilibres fragiles. Le compositeur en donne les clés en ces termes : " Dans les sections libres, les musiciens jouent chacun pour soi, sans se soucier de savoir s'ils sont en retard ou en avance sur leurs voisins, ce qui offre un champ infini de possibilités dans l'organisation du temps. "

    Mais cette notion de hasard dont le compositeur a fait l'expérience fondamentale est en réalité une liberté sous haute surveillance, rigoureusement contrôlée dans le temps, et qui n'est qu'un élément de la structure générale, et non comme chez John Cage une règle qui s'impose à la forme de l'oeuvre dans son ensemble.

    Et Lutoslawski de stipuler clairement qu'il n'y a pas d'improvisation dans sa musique : " Tout ce qui doit être joué est consigné en détail. La seule différence entre les épisodes ad libitum et les autres, parfaitement mesurés, est qu'ils ne disposent pas d'une même échelle métronomique. En d'autres termes, chacun joue sa partition comme s'il était seul. "

    Cette indication inhabituelle qui est la règle d'or pour la 3e Symphonie, l'est moins pour le Concerto de piano, où tout se joue entre le soliste qui règne en maître presque absolu, et l'orchestre préoccupé de tisser une toile de fond très raffinée, en s'accordant rarement le dialogue.

    Le résultat est fascinant, car dans cette relation étrange où les deux parties semblent se frôler sans jamais se toucher vraiment, passent des événements surprenants : ce léger bruissement des cordes qui, dans le premier mouvement, ressemble aux ébats d'un petit peuple de l'air et de l'eau, les cadences du piano en forme de cantilènes, les commentaires de l'orchestre dans le plus pur style rhapsodique, les brusques silences comme des nuées d'oiseaux stoppées en plein vol, et les accords en rafales qui les emportent ailleurs.

    Le pianiste allemand Lars Vogt en a donné une vision impressionnante, attaquant sur tous les fronts, volubile, fébrile, méditatif et pourtant jamais en repos, à l'écoute de la musique en train de se faire.

    Des partitions surréalistes

    Changement d'atmosphère avec les Chantefleurs et chantefables pour soprano et petit orchestre, une des dernières oeuvres de Lutoslawski, sur des textes du poète surréaliste Robert Desnos. De courtes pièces imitatives à l'usage des enfants rêveurs, de drôles de petits tableaux aux couleurs douces-amères, brodés et rebrodés au petit point, pleins d'humour et d'inventions harmoniques, que la soprano Ruth Ziesak a détaillé avec grâce et fraîcheur

    Mais l'enjeu majeur de la soirée était indiscutablement la 3e Symphonie, inspirée à Lutoslawski par l'excellence de l'orchestre de Chicago, et son chef Georg Solti, qui avaient eu la bonne idée de lui en passer commande. Cette oeuvre est l'aboutissement d'une longue recherche sur les formes à grande échelle, initiée dix ans plus tôt par le compositeur, et qui répond chez celui-ci à la survivance revendiquée du modèle d'architecture parfaite laissé par Haydn.

    Le choix délibéré de deux mouvements, le premier servant uniquement à préparer le second : " Le premier doit intéresser, séduire, sans jamais satisfaire l'auditeur qui doit se sentir en état d'attente de l'idée principale qui ne viendra que plus tard. Cette manière de répartir la substance musicale dans le temps me paraît en conformité avec la psychologie de la perception de la musique
     ".

    On peut tenir compte ou non de ces précautions d'usage, s'impatienter d'abord d'un discours interrompu par de nombreuses pauses musicales, de l'énoncé linéaire du tempo, mais la récompense arrive quand soudain, à l'entrée du second mouvement la texture devient de plus en plus fine, de plus en plus complexe et foisonnante, quand les modules sonores se multiplient et commencent à évoluer en contrepoints aléatoires, comme des électrons libres savamment tenus en laisse, scandés par le martèlement des tutti, jusqu'à se confondre dans la luxuriance de la masse orchestrale.

    Dans bien d'autres partitions, cette aptitude à maintenir la tension en dosant les dynamiques au millimètre, cette manière de ne pas dévoiler trop vite toute la palette des timbres, de ménager des surprises, étaient déjà caractéristiques de la manière du chef coréen. Avec Lutoslawski, Chung a trouvé le répertoire idéal pour exprimer son talent de maître du " suspense " orchestral, car il dirige parfois comme d'autres écrivent des romans policiers.




    Le 18/01/2002
    Françoise MALETTRA

    Hommage à Witold Lutoslawski dans cadre des " Figures de la poésie " de Radio-France.
    Witold Lutoslawski (1913-1994) : Concerto pour piano et orchestre, Chantefleurs et chantefables, sur des poèmes de Robert Desnos, (1. La belle de nuit. 2.La sauterelle. 3.La véronique. 4.L'églantine, l'aubépine et la glycine.5.La tortue. 6.La rose.7.L'allligator.8. L'angélique.9. Le papillon), Concerto pour orchestre

    Orchestre Philharmonique de Radio France
    Direction : Myung-Whun Chung
    Lars Vogt, piano
    Ruth Ziesak, soprano

     


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