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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Granitique et souveraine, face à des sujets venus lui faire allégeance, et saluer au passage la performance de l'artiste : ainsi apparaissait Jessye Norman, seule sur la scène du théâtre du Chatelet pour incarner l'histoire de deux femmes blessées à mort, et en même temps deux univers musicaux parfaitement étrangers l'un à l'autre, chacun exprimant une traversée parallèle du langage, de l'expressionisme viennois au neo-classicime français. Mais ce qui rapproche Erwartung de La Voix humaine, c'est l'idée de la perte et de l'inacceptable. Entre celle qui erre, la nuit, dans une forêt terrifiante, à la recherche du corps de son amant, et celle qui, abandonnée, vit les derniers déchirements de la rupture, on est dans cette épure de la souffrance dont la seule issue sera, pour l'une, la folie et, pour l'autre, l'auto-destruction. Indiscutablement, la puissance vocale de Jessye Norman, l'étendue presque intacte de sa tessiture, et sa science du chant, lui permettent encore beaucoup, mais pas tout. Impressionnante dans Erwartung, elle traduit la peur, la menace imaginaire, la cruauté des souvenirs, en évitant les pièges de la démesure et de la gesticulation. Tendue à l'extrême, sa voix trouve des intonations rauques, presque sauvages, pour dire l'angoisse et l'effroi qui la pétrifie à la découverte de l'homme assassiné. La mise en scène d'André Heller joue pour elle, en la plaçant au centre d'une véritable statuaire rituelle, où des créatures totémiques, éclairées par de brèves lumières, l'enserrent et la harcèlent en distillant une terreur sans fin. Rien de tel avec La Voix humaine. Le supplice de la femme se fera dans la nudité d'une pièce où s'égarent un canapé, une table basse et une table de chevet. Cernée par des murs gris-bleu, progressivement envahis par longue coulée rouge-sang, et bombardés par une géométrie affolée de strates lumineuses, Jessye Norman, debout, cheveux dénoués, en déshabillé de voiles noirs, supplie, se tait, se fait tendre, violente, ose encore une fois la séduction, abdique enfin, et se donne la mort. Mais son français trop approximatif finit par noyer le texte de Cocteau et enlève à la musique de Poulenc sa résonance intime aux mots, aux cris, à la plainte. En revanche, David Robertson, à la tête de l'Orchestre de Lyon, réussit à lui garder tout son pouvoir allusif et cette soumission subtile au drame d'amour et de mort qui se joue à huis-clos devant nous.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 05/10/2002 Françoise MALETTRA |
| Jessye Normal au Théâtre du Châtelet. | Arnold Schoenberg (l874-l951)
Erwartung (L'Attente)
(Monodrame en 1 acte, sur un livret de Marie Pappenheim, crée le 6 juin l924 à Prague)
Francis Poulenc (l899-l963)
La Voix humaine
(Tragédie lyrique en 1 acte sur un texte de Jean Cocteau, créée le 6 février l959 à l'Opéra-Comique)
Jessy Norman la femme
Direction musicale : David Robertson
Orchestre National de Lyon
Mise en scène : André Heller
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