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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Si la légende des Amazones hante encore toutes les mémoires, c'est qu'elle appartient à cet inconscient collectif qui resurgit au cours des temps, pour dire le combat singulier d'amour et de mort que se livrent, au nom d'un pacte de non allégeance, des hommes et des femmes aliénés par de trop lords héritages, trop longtemps tenus au secret.
Si les farouches vierges casquées de l'Antiquité ne brandissent plus l'arc et le lance pour foudroyer l'ennemi, elles ont légué leur esprit de conquête à d'autres guerrières, aussi savantes dans l'art de fourbir les armes de l'affrontement des sexes.
Claudia, l'héroïne, est cette amazone qui exclut tout pardon. Elle est cette dissidente, naufragée en état d'insoumission contre un monde d'hommes qui l'a dépossédée et condamnée au silence.
Mais au dernier étage d'un grand magasin où elle s'est réfugiée, en se substituant à la femme de ménage de service cette nuit-là , c'est à une étrange cohorte d'hommes qu'elle va livrer bataille : des mannequins, amoncelés dans un coin de la pièce, nus, désarticulés, victimes expiatoires déjà désignées.
Elle a choisi l'un d'entre eux, qu'elle forcera à son écoute et à son désir, creusant dans ses plaies ouvertes avec une terrifiante lucidité. Et son passé explose, dans le désordre des questions dont elle a perdu le sens et des réponses qu'elle ne veut pas entendre.
Quand le coeur du mannequin se met à battre, elle baisse sa garde un court instant, avant de reprendre les armes, pour une autre quête qui devra passer par la séduction, la possession et la mise à mort. La rencontre sera déchirante, sauvage, entre l'homme qui cherche à la rejoindre, à exorciser ses terreurs, et l'amazone redevenue la barbare assoiffée d'amour et de haine.
La musique d'Eugénie Alecian se glisse dans la peau des personnages, les provoque, libère leurs états psychiques et émotionnels, dans un climat d'extrême tension, et en même temps d'abandon à une vocalité qui ne cesse de monter en puissance.
Les instruments les incarnent, aiguisent les nerfs, cernent les voix, infléchissant les accents de la fureur ou les exacerbant, anticipant et précipitant la lente transformation de l'amazone, jusqu'au cri ultime, libératoire, expulsant une douleur qu'elle peut enfin proférer et regarder en face.
La Japonaise Kaoli Isshiki, qui vingt-quatre heures avant la première avait accepté de remplacer au pied levé Cécile Calmatte empêchée, a réussi d'emblée à jouer sur tous les registres avec une virtuosité vocale qui frôle la performance.
Jean-Jacques Lala, dans le rôle du mannequin humanoïde, médiateur d'une nuit et objet sacrificiel, s'est révélé un comédien tout à fait crédible. Quant à Franck Gali, il a su donner à l'ensemble instrumental le caractère convulsif et raffiné qui convient parfaitement à ce huis clos en noir et blanc, mis en espace sans gesticulations superflues par la compositrice elle-même.
Enfin un opéra où le mâle ne triomphe pas...
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La Péniche Opéra, Paris Le 24/11/2002 Françoise MALETTRA |
| L'amazone, opéra de chambre en 1 acte d'Eugénie Alecian. | Livret de Varoujan
Kaoli Isshiki (Claudia, L'Amazone)
Jean-Jacques Lala (Le Mannequin)
Quatuor Razumovsky
Michel Gizard (clarinette), Thierry Barbé (contrebasse), Massimo Trasente (percussions)
Direction musicale : Franck Gali
Mise en espace : Eugénie Alecian | |
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