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CRITIQUES DE CONCERTS |
26 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Turandot de Puccini dans la mise en scène de David Pountney et sous la direction de Valery Gergiev au festival de Salzbourg 2002.
Salzbourg 2002 (1):
Effet monstre Ă Salzbourg
Cristina Gallardo Domas (D.R.)
Le retour d'un opéra de Puccini sur la scène de Salzbourg après une mise au pilori de dix ans par l'ancien directeur du festival Gérard Mortier faisait figure d'événement. Mise en scène gigantesque, équipe musicale prestigieuse, double choeur et chorégraphie, bref des moyens énormes dont on ne pouvait attendre que le meilleur.
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Bons baisers d’Eltsine
Chambre déséquilibrée
RĂ©gal ramiste
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Pourtant non dénuée de qualités, la très médiatique super-production salzbourgeoise est truffée de travers qu'aurait aisément évités une préparation plus rigoureuse. Premier concerné, le démiurge Valery Gergiev qui, on le sait, aime travailler dans l'urgence pour se trouver dans l'état d'une pile électrique chargée à bloc le soir du concert. Seulement, aussi géniales soient ses intuitions musicales, le manque de répétitions se fait sentir à chaque instant.
Si le miracle s'était produit pour Lady Macbeth de Chostakovitch en 2001, on note cette année de gros problèmes de mise en place, des " pains " aux cuivres et des décalages catastrophiques avec le choeur. Restent des passages impressionnants, comme l'ouverture du rideau, d'une rage presque démoniaque, toute la deuxième scène du deuxième acte, habitée d'une frénésie presque hystérique.
Malgré de fabuleuses sonorités orchestrales dues à la présence des Viennois dans la fosse, Gergiev joue la surenchère sans vraiment habiter sa lecture. Beaucoup plus grave, il écrase complètement le plateau dans une débauche de décibels éhontée. Heureux qui aura pu entendre une note de Johan Botha au premier acte ! Il n'y a guère que les choeurs - excellents - qui parviennent à surnager au milieu d'un tel capharnaüm.
Au niveau scénique, on ne peut que déplorer le fait d'avoir englouti autant d'argent dans pareil projet pour un résultat juste correct. Quelques trouvailles - le crâne immense qui renferme Turandot - les décors saisissants - des structures et rouages métalliques très "Fritz Lang" - et le postulat de base du metteur en scène britannique David Pountney - une société d'individus automatisés, qui réagissent au doigt et à l'œil de leur souveraine - sont dignes d'intérêt. De même, la scène rouge vif où tous les sujets sont rangés en contrebas d'une Turandot hissée sur une plate-forme à dix mètres de hauteur, est du meilleur effet. Seulement, une fois les personnages en place, on avait presque affaire à un oratorio en costumes.
Autre souci, la chorégraphie façon " poupées mécaniques " se révèle peu convaincante et souffre de graves problèmes de synchronisation. Enfin, au vu des moyens du Grosses Festspielhaus quant à la machinerie, on ne peut que déplorer un spectacle aussi mal régi. Le moindre mouvement des structures métalliques fait un raffut exaspérant, les guillotines se bloquent, et un panneau de tissu jaune prévu pour le deuxième acte - partie d'une immense toile avec des pivoines très kitsch dignes d'assiettes de restaurant - se déroule au beau milieu du premier acte.
Dans un modeste théâtre de province, passe encore, mais à Salzbourg, c'est tout simplement honteux. Idem pour la prestation du choeur d'enfants de Bad Tölz, à l'italien déplorable, à la justesse chaotique et au son hideux.
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Monstrueux final sauce Schönberg
Pour ne rien arranger, le nouveau final de l'ouvrage écrit par Luciano Berio transporte Turandot dans les touffeurs moites de la Seconde École de Vienne. La conclusion d'Alfano n'était certes pas d'un raffinement extrême, mais celle de Berio - avec son insupportable xylophone omniprésent - est stylistiquement aberrante. Elle donne à l'opéra des allures de mouton à cinq pattes luttant à chaque instant contre la ligne vocale originale.
On peut toutefois se consoler un peu avec la distribution. Le plateau est dominé par la Liù très impliquée de Cristina Gallardo-Domâs, dont la voix, pas très large, passe pourtant idéalement l'orchestre. On regrettera tout au plus un vibrato encombrant qui l'empêche de varier l'expressivité.
Sa rivale, Gabriele Schnaut, a toujours une présence aussi impressionnante. Ce type de voix incroyablement projetée, capable de résister aux assauts d'un orchestre tous cuivres dehors, effraie en général plus qu'il n'émeut. Or cela tombe bien, Turandot est une vipère, et les regards venimeux de la soprano dramatique allemande sont pleins d'un poison mortel. Il est d'autant plus dommage que la voix connaisse des difficultés dans le haut-médium - la chanteuse pèche par une intonation toujours trop basse dans le second passage sur les fa et sol - car les aigus sont conquérants et d'une rare puissance, même si le timbre n'est plus guère séduisant.
Johan Botha, belle voix claire et brillante, jeune de timbre, est un Calaf presque belcantiste, sans le moindre tic vériste - Nessun dorma de grande classe - faisant oublier très vite son inertie scénique. Les trois ministres affichèrent un niveau vocal honorable, en particulier le Ping de Boaz Daniel. Bonne surprise, Paata Burchuladze - ailleurs si souvent problématique – s'avère un excellent Timur. Enfin, le vétéran Robert Tear offre les dernières ruines de sa voix à l'Empereur Altoum et Robert Bork campe pour sa part un vaillant mandarin.
Au final, cette Turandot annoncée comme l'événement de l'été salzbourgeois fut pour le moins décevante, d'abord par faute de travail, même si la retransmission en direct sur ARTE le 30 août atténua en partie cette impression. On attendait une production monstre, elle ne le fut pas qu'économiquement.
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