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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Création de l'opéra Perelà, Uomo di fumo de Pascal Dusapin à l'Opéra de Paris.

La prise de la Bastille
© Eric Mahoudeau

© Eric Mahoudeau

Ni sifflets ni tomates pour Pascal Dusapin qui a toutes les raisons d'être heureux. Son entrée officielle à l'Opéra Bastille a été saluée par un triomphe sans ambiguïté à l'issue de la création de son quatrième opéra, Perelà, l'homme de fumée , un sujet insolite magnifié par la mise en scène de Peter Mussbach.
 

Opéra Bastille, Paris
Le 24/02/2003
Françoise MALETTRA
 



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  •  PerelĂ   est nĂ© d'une rencontre forte et durable, il y a dix ans, entre le livre Ă©ponyme d'un inconnu (en France) cĂ©lèbre (en Italie), Aldo Palazzeschi, un des membres importants du futurisme italien des annĂ©es 1910.

    Roman fantastique, conte philosophique, son héros est une énigme, une apparition aux frontières du réel, une absence-présence. Figure immatérielle descendue du ciel vers la lumière dans un nuage de fumée, Perelà parle peu, très peu.

    De ses trois mères nourricières, Pena, Rete, Lama, qu'il ne cesse d'invoquer, il a reçu la connaissance, mais non l'expérience. Egaré dans un royaume dont le prince est un enfant, il lui faut écouter, observer, mettre un nom sur les choses pour s'en étonner ou s'en émerveiller.

    On ne sait de quel message il est porteur. On y voit l'émanation christique d'un homme de trente-trois ans, sans géniteur, silencieux, mobilisateur, aimé de tous. Mais Perelà n'agit pas, n'interroge pas, n'intervient pas, ne cherche pas à convaincre.

    Autour de lui grouille un petit peuple dĂ©boussolĂ© de gnomes, humanoĂŻdes dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©s obĂ©issant Ă  un archevĂŞque hystĂ©rique en collant rose, une reine hallucinĂ©e coiffĂ©e des pattes d'un scorpion, une marquise en mal d'amour (Marie-Madeleine ?), un vieux valet qui s'immolera par le feu (un martyr des premiers âges ?), un philosophe cynique, un banquier vĂ©reux.

    Étranger aux fantasmes que crĂ©e son apparence, PerelĂ  regarde sans les voir ces Ă©tranges crĂ©atures qui veulent faire de lui un lĂ©gislateur appelĂ© Ă  Ă©laborer le nouveau " Code " de la citĂ©. Les mĂŞmes crĂ©atures que le mĂŞme mystère conduira Ă  le nier et Ă  le condamner.


    Littérature très musicale

    Pascal Dusapin avoue que le texte de Pallazeschi a Ă©tĂ© pour lui comme " une transfusion du monde de la musique vers un monde littĂ©raire ", ajoutant que " pour la première fois, c'Ă©tait la littĂ©rature qui allait chercher la musique ".

    Et le choix de la langue italienne pour sa propre adaptation du livret n'est pas neutre. Il se voulait au plus près du style de l'Ă©crivain, lequel le dĂ©finissait comme " pas beau, mais homogène, plein d'idĂ©es grandioses et de hardiesse, fait pour libĂ©rer la parole, sans se soucier d'une forme susceptible de la vider de sa force d'expression ".

    Dusapin en épouse les intonations, le chant large ou les brusques inflexions. Il en exploite la violence et la morbidezza, accentuant la caractérisation des personnages, au point d'en faire des archétypes. En homme libre, qui balaye toute allégeance aux courants dominants, il cherche avant tout de nouvelles solutions à l'écriture pour le théâtre.

    Son dernier opĂ©ra en est un exemple : loin des abstractions de RomĂ©o et Juliette ou de Medeamaterial, il opère un certain retour Ă  la narration, mĂŞme si celle-ci se situe dans l'univers fantastique d'une " allĂ©gorie de la pensĂ©e ".


    Efficacité sans faille

    Sur une trame harmonique statique, mais raffinĂ©e, il installe Ă  l'orchestre une dramaturgie musicale qui anticipe sur chaque changement de climat, suggère et provoque avec une efficacitĂ© sans faille. Sur le plateau, le chant se taille une part royale : arias, duos, ensembles se succèdent, redonnant toute sa place aux valeurs essentiellement expressives de la musique.

    Tous les interprètes sont à la hauteur de l'entreprise, avec mentions spéciales pour l'excellence du choeur Accentus, l'abattage de Dominique Visse (l'Archevêque), la performance scénique et vocale du ténor John Graham-Hall (Perelà) et les beaux accents tragiques de Nora Gubisch (La Marquise de Bellonda).

    Quant Ă  la mise en scène de Peter Mussbach, elle est d'une beautĂ© et d'une invention permanentes, avec des images stupĂ©fiantes (le " Salon de thĂ© " oĂą les dames du royaume accueillent PerelĂ  ­ chapitre II, " Le Bal " -chapitre 4, ou le final conçu comme un tableau de De Chirico).

    La bataille de PerelĂ , l'homme de fumĂ©e, n'aura pas eu lieu. Pascal Dusapin a rĂ©ussi sa prise de la Bastille sans avoir Ă  engager le combat. C'est peut-ĂŞtre le signe que la grande Maison est enfin devenue un opĂ©ra " moderne et populaire ".


    À lire également :

    L'avis de GĂ©rard Mannoni
    L'avis de Michel Parouty pour les Échos (consultation payante !)
    L'avis de Renaud Machart dans le Monde




    Opéra Bastille, Paris
    Le 24/02/2003
    Françoise MALETTRA

    Création de l'opéra Perelà, Uomo di fumo de Pascal Dusapin à l'Opéra de Paris.
    Opéra en dix chapitres
    Livret de Pascal Dusapin, adapté de l'oeuvre d'Aldo Palazzeschi Il Codice di Perela

    Orchestre de l'Opéra National de Paris
    Choeur de chambre Accentus ­ Dir : Laurence Equilbey
    Direction musicale : James Conlon
    Mise en scène : Peter Mussbach
    DĂ©cors : Erich Wonder
    Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
    Lumières : Alexander Koppelmann

    Avec John Graham-Hall (Perela), Martine Mahé (Une pauvre vieille), Nora Gubisch (La Marquise Oliva de Bellonda), Gregory Reinhart (Premier garde du Roi, Le Philosophe Pilone), Jaco Huijpen (Le Chambellan, Le Ministre), Scott Wilde (Le Valet, Alloro, Le Président du tribunal), Youngok Shin (La Reine), Chantal Perraud (La fille d'Alloro), Nicolas Courjal (Deuxième garde du Roi, Le Banquier Rodella), Dominique Visse (L'Archevêque), Daniel Gundlach (Le Perroquet), Isabelle Pierre (La jeune fille à la flûte), Paul-Alexandre Dubois (L'aide du Roi), Pierre Corbel (Un homme seul), Benjamin Clee, Caroline Chassany, Valérie Rio (trois femmes), Grégoire Fohet-Diminii, Pïerre Corbel, Paul-Alexandre Dubois (trois hommes)

     


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