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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première des Boréades au Palais Garnier, Paris.
Les Boréades dans le noir
Voilà 239 ans que l'ultime tragédie lyrique de Rameau attendait de faire son entrée à l'Opéra de Paris. Œuvre maudite ? Peut-être, car cette première ne fut pas de tout repos. Mais au final, une musique sublime, résistant à tous les traitements. Rameau est bien le grand triomphateur de cette production des Boréades.
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Pour une fois, le fantôme de l'Opéra n'était pour rien dans l'insolente panne d'électricité qui a bien failli compromettre les amours déjà difficiles des héros des Boréades. Contre les caprices d'un transformateur de la voisine rue Tronchet, Borée, le dieu des vents du Nord en personne, risqua de perdre définitivement la partie avant l'heure fixée par Rameau. Noir total au premier entracte, longue errance du public dans l'obscurité des foyers, reprise sur un troisième acte à son tour frappé de plein fouet par un nouveau blackout. EDF, qui s'était montrée trop chiche en puissance, corrige, et le courant est rétabli, sans plus d'incidents, jusqu'à la fin (tardive) du spectacle.
Difficile, dans de telles conditions, de juger honnêtement d'une production tant attendue, qui faisait enfin son entrée au répertoire de l'Opéra de Paris, après un long purgatoire de 239 ans, interrompu en 1982 au Festival d'Aix-en-Provence, et en 1999 au Festival de Salzbourg. Car l'Académie Royale de Musique, commanditaire de l'oeuvre à Rameau, n'honorera pas ses engagements : la création qui devait avoir lieu en 1763 sera ajournée, pour ne pas dire purement et simplement censurée, en raison des aspects subversifs d'un livret, jugé d'inspiration franc-maçonnique, qui mettait en scène un pouvoir déniant toute liberté à l'individu et le droit d'une reine à l'insoumission au nom de l'amour. Rameau devait mourir un an plus tard, abandonnant au silence un ultime chef d'oeuvre, qui à l'image de ceux qui l'avaient précédé, ouvrait une voie royale à Gluck et Mozart.
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La partition des Boréades regorge d'inventions, d'idées musicales lancées, variées, masquées ou clairement énoncées, qui tissent les liens du tissu dramatique, cernent et enlacent les personnages en leur donnant de la chair et du sens. Elles disent la violence, la cruauté, la terreur, la douceur des amours et la force invincible des sentiments. On est loin, très loin, d'un Rameau au coeur aride et à la raison triomphante, mais si proche du musicien philosophe qui tient à distance Voltaire et Rousseau, et livre l'art des temps à venir dans la vision prophétique d'une société en marche vers son nouveau destin.
Faut-il mettre sur le compte d'une soirée passablement perturbée, les imprécisions de l'Orchestre des Arts Florissants et les quelques difficultés à réaliser une véritable fusion entre la fosse et le plateau ? Peu importe. William Christie restitue toute la splendeur et les raffinements de la musique de Rameau, en engageant musiciens et chanteurs dans un même élan de jeunesse, toujours habité par la rigueur d'un style dans lequel ils excellent.
La distribution est dominée par Paul Agnew, magnifique Abaris, et les trois barytons français Laurent Naouri, Stéphane Degout et Nicolas Rivenq, indiscutablement parmi les meilleurs de leur génération. Malgré de beaux accents, une réelle présence scénique et une science du chant qui n'est pas en cause, Barbara Bonney, Alphise, se heurte aux lois de la déclamation baroque, ou pire, semble les ignorer. Quant à la chorégraphie d'Edouard Lock, entre gymnastique rythmique (mais sur pointes) et corps déchaînés d'une jeunesse affolée, elle donne le sentiment de raconter une histoire étrangère à celle qui nous est donnée à entendre par Rameau.
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Pour célébrer cet hymne à la liberté et à la fraternité, Robert Carsen imagine un champ de fleurs au premier acte, et un tapis de feuilles d'automne au second, s'envolant d'immenses parapluies retournés. Atmosphère Peace and Love, prestement réprimée par des hommes en noir, armés de râteaux balayeurs, déterminés à rétablir l'ordre dans le royaume.
On était loin du merveilleux baroque et de ses enchantements, mais on savait déjà qu'Alphise, la reine insoumise, refusait de prendre pour époux un des princes boréades désignés par les dieux, et qu'elle aimait Abaris, un jeune homme sans naissance. On se doutait qu'elle ne céderait pas. Les images en noir et blanc, belles mais glacées, allaient alors servir de cadre à la fête tragique : révolte de la reine, colère des dieux, ouragan sur la cité dévastée, enlèvement de la rebelle et descente aux enfers.
Mais soudain le décor d'épure et la poésie retrouve en partie ses droits dans la scène des épreuves dont Abaris sortira vainqueur, par la grâce d'une épée enchantée, don de la reine Alphise, qui elle-même la tenait du dieu Amour. L'apparition d'Apollon, deus ex machina, suspendu dans les airs est le seul clin d'œil à la magie baroque, singulièrement absente du projet scénique. Heureusement, c'est Rameau qui a le dernier mot. En s'accordant une ultime contredanse, le divertissement contre les larmes, il fait savoir qu'il entend faire exactement ce qu'il lui plait, et rejoint le cri de la nymphe : Le bien suprême, c'est la liberté.
Représentations les 3,6,8,10,13,15,17 avril 2003
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Palais Garnier, Paris Le 28/03/2003 Françoise MALETTRA |
| Première des Boréades au Palais Garnier, Paris. | JEAN-PHILIPPE RAMEAU (1683-1764)
LES BOREADES
(Tragédie en musique en cinq actes, 1763)
Livret attribué à Louis de Cahusac
Danseurs : La La La Human Steps (compagnie invitée)
Direction musicale : William Christie
Mise en scène : Robert Carsen
DĂ©cors et costumes : Michael Levine
Lumières : Robert Carsen et Peter van Praet
Dramaturgie : Ian Burton
Avec Barbara Bonney (Alphise), Anna-Maria Panzarella (Sémire), Jaël Azzaretti (Une nymphe, Polimnie), Paul Agnew (Abaris), Toby Spence (Calisis), Laurent Naouri (Borée), Stéphane Degout (Borilée), Nicolas Rivenq (Adamas, Apollon). | |
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