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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Ce qui frappe une nouvelle fois, c'est la parfaite adéquation entre cette production et la grande nef de Bastille. Dès les premières mesures, la spatialisation s'impose par une parfaite réalisation, fosse d'orchestre très fournie et arsenal électronique – ce dernier prolongeant ou complétant les sonorités instrumentales au gré de la partition – s'employant habilement à créer un cocon sonore dont on ne sortira plus.
Spectral, Philippe Manoury l'est indéniablement, mais il a su ici mettre un langage éminemment personnel au service d'un genre somme toute extrêmement contraignant, l'opéra. Essentiellement, le compositeur a évité une trop grande rigidité dans son discours musical, sacrifiant l'unité organique de la musique - qui était devenu un handicap dans son 60ème Parallèle - au profit d'une mosaïque de tableaux sonores bien plus efficaces.
Du côté de l'intention théâtrale, c'est à l'évidence du côté de Berg – rappelons que le livret est en allemand, et que l'écriture vocale utilise un Sprechgesang plus libre que de coutume – qu'il faut tourner ses regards, d'autant qu'André Engel, à la mise en scène, joue sans fard la carte de l'expressionnisme allemand, ou plus précisément du cinéma expressionniste allemand. Le plateau de Bastille est ainsi savamment transformé en quasi-écran de cinéma, très « 16/9 », et la succession des nombreux tableaux, menée tambour battant, est digne d'un UGC ou d'un Gaumont.
D'où vient alors qu'au bout d'un spectacle d'une heure quarante minutes, on ait cette impression de perplexité ? Le Procès de Kafka est un sujet difficile. Dans les débats qui n'en finissent pas sur la nécessité d'opter pour une situation (de type Lachenmann) ou une narration, ce n'est pas ici que l'on trouvera une réponse satisfaisante, même si Le Procès de Kafka pouvait sembler, a priori, un compromis intéressant, recélant cependant des pièges évidents.
Même si Philippe Manoury affirme que ses tableaux pourraient à la limite se suivre dans un ordre différent - cf l'interview de Gérard Mannoni lors de la création -, le spectateur n'en est pas moins confronté à une histoire, même si sur scène, il s'agit d'archétypes plus que de personnages.
Et c'est ce moyen terme qui se révèle à la longue un handicap. Ainsi, Dennis Russell-Davies a beau tirer des miracles sonores d'un orchestre très en forme, la distribution de très haut vol - Andreas Schreibner dans le rôle-titre, l'inusable Kenneth Riegel, l'impressionnante Jeanne-Michèle Charbonnet ou encore Laurent Naouri en tête - a beau s'évertuer, on reste un peu extérieur à ce qui se passe sur le plateau tout en admirant les mouvements très fluides de ce qui constitue, il faut l'avouer, une parfaite mécanique théâtrale.
Mais trop d'huile finit par rendre la mécanique trop lisse, et l'on finit par chercher, en vain, une aspérité à laquelle se raccrocher.
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