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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de La Traviata mise en scène par Jonathan Miller à l'Opéra Bastille.
La Traviata la plus rapide de l'ouest
Tito Beltran (Alfredo), Patricia Racette (Violetta)
En 1997, l'Opéra de Paris proposait une nouvelle Traviata affichant notamment Angela Gheorghiu. Six ans plus tard, on retrouve la même production avec une distribution plus modeste mais efficace, qui ne permettra toutefois pas de racheter une mise en scène et une direction musicale bien contestables.
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La mise en scène de cette production n'a jamais été son point fort, comme l'avait justement remarqué Gérard Mannoni dans ces colonnes il y a trois ans. Jonathan Miller propose une mise en scène pour le moins conventionnelle, avec son décor sans charme – un escalier en colimaçon vert-de-gris volumineux et inélégant – et sa direction d'acteurs convenue, voire inexistante. A ce titre, la confrontation entre Violetta et Germont au deuxième acte sera très sérieusement handicapée par des décors kitsch – la maisonnette en carton pâte, la toile qui recouvre l'escalier, avec ses motifs pseudo impressionnistes – et une totale absence de « coaching » pour les chanteurs. Seul le troisième acte semble décoller légèrement, avec l'impression de désolation suggérée par une sordide et efficace chambre d'hôpital. Il était temps !
Heureusement, la partie vocale de la soirée est fort bien assurée. Après Angela Gheorghiu et Cristina Gallardo-Domâs, c'est le tour de Patricia Racette d'endosser le rôle-titre de cette Traviata. L'Américaine s'y montrera touchante par la beauté du timbre, clair et lumineux, les joliesses musicales dans la ligne de chant, et l'aisance sur scène, même si on aurait préféré une incarnation plus fouillée, un personnage à l'intériorité plus bouillonnante, plus tourné du côté de Lady Macbeth que de Desdémone. Mais au troisième acte, on se laisse porter par cette Violetta exsangue dans son lit vétuste. On regrettera toutefois une tendance à chanter bas dans les fins de phrase piano, et des aigus encore un peu verts – difficile contre-mib à la fin du premier acte.
En face d'elle, l'Alfredo de Tito Beltran, pourtant aux prises avec une trachéite, a fière allure. La pleine voix ne semble guère en faire les frais, et le ténor chilien donne un Libiamo et un De' miei bollenti spiriti vaillants – malgré certains aigus « de secours » – pleins de soleil, avec son timbre méditerranéen parfaitement adéquat. En revanche, la demi-teinte est beaucoup plus affectée, et somme toute assez pénible. Beltran ne s'économise guère, et paraît à la limite de l'aphonie dans la seconde scène du deuxième acte, pour finalement retrouver ses moyens dans le troisième et terminer honorablement.
Quant à l'empêcheur de tourner en rond, il fut campé avec classe et distinction par Roberto Frontali, toujours très à l'aise dans la tessiture haut-perchée des grands barytons verdiens, avec son aigu plein d'assurance. La grande clarté de timbre du baryton italien fait singulièrement perdre de l'âge à Germont et le rapproche vocalement – sans doute un peu trop – de la jeunesse de son fils.
Si la partie musicale assurée sur scène tient la route, on ne peut pas en dire autant de la musique qui émerge de la fosse, le point noir de cette reprise de La Traviata étant la direction délirante de contresens de Nicola Luisotti. Chaque pièce est bousculée, et le chef italien avale préludes, airs, ensembles et choeurs avec un tempo toujours ridiculement précipité. On pourra certes préférer cette lecture « TGV » à la prudence de kapellmeister fainéants, mais on peut donner de la vie à une partie d'orchestre verdienne sans pour autant sombrer dans la caricature. De fait, on note de fréquents décalages et une fébrilité générale dans les choeurs.
De plus, un rubato insensé vient ruiner tous les airs. Chaque fin de phrase est soulignée par une inflexion téléphonée avec un ritardando exagéré et de mauvais goût. Il ne faut pas confondre souplesse et maniérisme ou dislocation de la ligne vocale, comme c'est le cas dans un Sempre libera passé au hachoir et défiguré par un yo-yo rythmique permanent. De plus, Luisotti abuse sans vergogne d'effets douteux – changements de tempo arbitraires, ralentis sentimentaux et véristes – et de points d'orgue qui ont dû faire se retourner Toscanini dans sa tombe, lui qui avait passé ses 70 ans de carrière à lutter contre cette écueil.
Pour les fanatiques de la voix et du chant que ne rebutent ni une mise en scène trop sage ni une direction outrée, cette Traviata la plus rapide de l'Ouest méritera quand-même le détour.
Prochaines représentations les 8, 15, 17, 20, 23, 27 et 29 mai.
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Opéra Bastille, Paris Le 02/05/2003 Yannick MILLON |
| Reprise de La Traviata mise en scène par Jonathan Miller à l'Opéra Bastille. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
La Traviata, opéra en trois actes
Livret de Francesco Maria Piave d'après La Dame aux Camélias d'Alexandre Dumas fils
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Nicola Luisotti
mise en scène : Jonathan Miller
décors : Ian MacNeil
costumes : Clare Mitchell
Ă©clairages : Rick Fisher
mouvements chorégraphiques : Françoise Grès
chef des choeurs : Peter Burian
Avec :
Patricia Racette (Violetta Valery), Tito Beltran (Alfredo Germont), Roberto Frontali (Giorgio Germont), Allison Cook (Annina), Svetlana Lifar (Flora Bervoix), Mihajlo Arsenski (Gastone), Michael Druiett (le Baron Douphol), Yuri Kissin (le Marquis d'Obigny), Christian Tréguier (le docteur Grenvil). | |
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