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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Et tant pis pour les applaudissements ! Frank Braley a eu certainement raison d'arrêter d'un geste de la main, lent mais ferme, toute manifestation du public entre chaque morceau de la première partie de son récital. Ce n'est pas courant. C'est même rare, car il faut au pianiste assez de concentration et de résistance pour passer sans vraie pause d'un compositeur à l'autre, surtout lorsqu'ils sont si différents. D'ailleurs l'étaient-ils tellement, et l'intelligence de cette attitude ne fut-elle pas précisément de souligner tout ce qui rapprochait aussi ces musiques ?
Braley ne joue pas Debussy comme tout le monde. Cinq Préludes ouvraient ce récital et là où tant d'autres s'efforcent toujours de chercher des sonorités impalpables ou évanescentes, il fait d'autres choix, éveillant des harmonies plus franches, plus profondes, avec des couleurs qui osent s'affirmer.
Après tout, on ne voit pas pourquoi les Danseuses de Delphes seraient asexuées, la Sérénade interrompue à peine allusive ou les Collines d'Anacapri sans contrastes. Rien d'excessif dans tout cela, bien sûr, mais une approche où le piano trouve des séductions plus directes, plus chaleureuses qui appartiennent aussi à l'univers de Debussy.
Solidement écrite, avec des structures affirmées, de beaux contrastes de dynamique, des harmoniques savamment éveillées, Quasi una sonata de Franck Krawczyk tient bien le choc avant trois pièces de Brahms. Elève de Gilbert Amy et de Philippe Manoury, ce jeune compositeur a le sens de l'instrument et sa musique ne sonne pas pour ne rien raconter d'autant Braley s'y voue avec un investissement des plus sincères.
Les trois pièces de Brahms, op.76 et op.118, furent immédiatement après abordées avec un romantisme plus rêveur que franchement extériorisé, ce qui leur convenait bien et menait comme naturellement à la Sonate pour piano op.1 d'Alban Berg. Nous avions accompli, avec un détour quasi-naturel par Brahms, un circuit non chronologique dans l'écriture pianistique du XXe siècle et nous nous rendions compte, avec cette parenthèse très astucieusement choisie, comment les sons et les formes avaient tourné dans l'air du temps pendant une centaine d'années.
La deuxième partie du récital était entièrement consacrée à la Sonate n°22 en la majeur D959 de Schubert. On sait qu'avec Schubert, Frank Braley est chez lui. Rien n'est pourtant plus difficile que de capter et de rendre l'exact climat de l'humeur schubertienne de cette sonate exceptionnellement positive, malgré quelques allusions angoissées, mais furtives.
Frank Braley s'appuie d'abord sur un strict respect des structures et sur leur rigoureuse mise en valeur, et laisse ensuite parler librement sa sensibilité qui trouve comme spontanément les bons accents et les meilleures options dynamiques et émotionnelles pour leur donner une vie personnelle et attachante.
On sort d'un tel récital en ayant l'impression d'avoir vécu une soirée de musique pure, directe, comme nous les faisaient vivre un Kempff ou même un Guilels.
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Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Le 12/05/2003 Gérard MANNONI |
| Récital de Frank Braley au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris. | Oeuvres pour piano de Debussy, Krawczyk, Brahms, Berg et Schubert. | |
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