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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de La Cenerentola de Rossini au Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
Restaurer Ă tout prix le temps perdu
Deux intérêts principaux pour cette prodution de La Cenerentola au Théâtre des Champs-Elysées : la présence de Vivica Genaux, présentée par beaucoup comme la grande mezzo colorature du moment, et celle du Concerto Köln, dont les instruments anciens annoncent un Rossini de plus en plus « authentique ». Expérience alléchante sur le papier : qu'en est-il réellement ?
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A ceux qui ont gardé une âme d'enfant, et le souvenir de leurs premiers frissons à la lecture des contes de Perrault, il faudra un court moment d'adaptation pour jouir allégrement de la nouvelle production de La Cenerentola de Rossini proposée par le Théâtre des Champs-Elysées. Cendrillon ne grelotte plus au coin du feu, elle est servante à tout faire au bistrot de Don Magnifico, mais toujours aussi cruellement humiliée par Clorinda et Tisbe, ses deux pimbêches de demi-soeurs, folles de leur corps et attirées comme des mouches affolées par les lumières des beaux quartiers.
Ramiro, ses compagnons, et naturellement son valet Dandini, ont tous les attributs de la jeunesse dorée d'aujourd'hui (ou non ) : platines disco, ordinateurs, téléphones mobiles et entrée libre au hamam. Quant à la bonne fée du conte, elle a transmis ses pouvoirs magiques à Alidoro, le précepteur-philosophe qui va manipuler tout ce petit monde en élégant Monsieur Loyal.
Passé le premier choc des images, on se retrouve dans le plus pur dramma giocoso à la Rossini, la musique emporte tout, et c'est bien elle qui mène la danse. Ornements, cadences, trilles en cascades, vocalises aériennes jusqu'au vertige, rarement le chant rossinien n'aura été à si belle fête.
Sur scène, ce sont les trois barytons qui gagnent la partie. Alessandro Corbelli est un Don Magnifico irrésistible qui nous rappelle les grandes heures de Gabriel Bacquier. On ne peut rêver d'un Alidoro plus « enchanteur » que celui d'Ildebrando d'Arcangelo. Le jeune chanteur italien impose une présence scénique et vocale qui exprime toutes les finesses du personnage, au même titre que l'excellent Pietro Spagnoli, dans le rôle du prince travesti. Si le ténor américain a le physique avantageux du vrai prince Ramiro, il reste vocalement beaucoup moins convaincant. Côté dames, Carla Di Censo et Nidia Palacios, les deux petites chipies Clorinda et Tisbe, vocalisent à ravir en rivalisant de drôlerie et de pétulance.
On attendait beaucoup de la Cenerentola de Vivica Genaux, généreusement lancée par le disque, déjà remarquée dans la Rosine du Barbier de Séville et l'Isabella de L'Italienne à Alger. Mais si elle possède une technique indiscutable, pourquoi s'obstine-t-elle dans une émission curieusement nasale qui semble trop souvent laisser le son se noyer dans la gorge ?
A la tête d'un Concerto Köln peu coutumier du genre (qui « entrait », il est vrai, en Rossini pour la première fois), Evelino Pido cisèle le style et ne laisse (à juste titre) aucun répit aux chanteurs, mais les instruments baroques ne peuvent donner que ce qu'ils ont : une sonorité certes de toute beauté, à laquelle il manque cependant la verve rossinienne. Pas d'analyse freudienne dans la mise en scène d'Irina Brook, mais un divertissement parfaitement réglé, tendre et endiablé, plein de gags toujours efficaces. Sans doute parce que ce petit conte cruel finit bien, que la morale est sauve, que l'amour triomphe, que les bons sont récompensés et les méchants pardonnés.
Et si chez Rossini, le bracelet a remplacé la pantoufle de vair, Irina Brook, elle, ne résiste pas au clin d'œil en exposant au dernier acte deux immenses escarpins en polystyrène, comme pour nous rappeler que l'opéra a encore le pouvoir de restaurer le temps perdu.
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