|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Pour la troisième fois, Nicolas Joel a mené à terme un Ring complet et cette fois pour le théâtre qu'il dirige. Heureux Capitole qui possède désormais ce que l'Opéra de Paris n'est jamais parvenu à mettre en place depuis la nuit des temps ! Et il ne s'agit pas de n'importe quelle approche de ces quatre opéras puisque, habitué de cette univers, Joel a su tout à la fois « faire du neuf » sans pour autant tomber dans les absurdités débiles de tant de mises en scènes du Ring, y compris dans les lieux les plus vénérables.
Sa plus grande qualité est sans doute de savoir donner une authentique vie théâtrale à ces personnages mi divins-mi humains, sans les désacraliser. Même les Nornes, un peu embrouillées dans ce fil qui leur échappe, même les Filles du Rhin, tour à tour séductrices et menaçantes, même cette fantoche de Gutrune, prennent un relief et une dimension dramatique. Le couple que Gutrune forme avec son frère Gunther, sorti tout droit des Damnés, sulfureux, certainement incestueux, est particulièrement original, elle, longue silhouette fluide de star années trente, lui, décadent, beau gosse sniffeur de cocaïne , énervé, agité, pleutre, bellâtre. On regrette que le Siegfried d'Alan Woodrow soit physiquement si loin de l'image que l'on a du héros, surtout face à l'éblouissante Brünnhilde de Janice Baird, ce qui nuit un peu à la crédibilité de leurs rapports. Mais on a vu pire en la matière et surtout avec des voix beaucoup moins adéquates.
Dans un décor évoquant tour à tour le monde écrasant de la révolution industrielle et de ses machines de guerre broyeuses d'hommes et les hauteurs infinies de rochers mythiques, tous ces personnages s'affrontent avec violence, conviction, engagement, dans un drame dont ils ignorent ne pas posséder les vraies données. Il faudra attendre que Brünnhilde comprenne enfin qu'ils ont tous accompli un destin qui les dépasse et effectue les ultimes gestes d'un rite commencé avec l'Or du Rhin. On y croit, car personne n'est jamais ridicule, ni trop humain, même s'ils agissent et réagissent tous comme nous pourrions le faire
avec juste quelques filtres en plus. C'est cohérent, personnel, avec seulement une ou deux citations de Chéreau-Bayreuth-1976, pour le retour de Gunther et Brünnhilde et pour cette façon de rassembler à l'avant-scène le choeur regardant le public au final, image que Chéreau avait créée au moment de la marche funèbre.
| | |
Pinchas Steinberg brasse cette énorme partition en spécialiste, secondé magistralement par les musiciens de l'Orchestre national du Capitole. Sa lecture est puissante, métaphysique, mais également sensuelle et colorée, voire anecdotique quand cela est nécessaire. Magnifique prestation des choeurs aussi, dûment préparés notamment par l'irremplaçable Norbert Balatsch.
Très solide, la distribution est dominée par la somptueuse Brünnhilde de Janice Baird, qui avait déjà triomphé ici même dans Siegfried. Avec des moyens d'authentiques wagnérienne, voix stable, puissante, largement timbrée sur toute la tessiture, la cantatrice américaine applique parfaitement leçons de ses professeurs, en l'occurrence Birgit Nilsson et Astrid Varnay, qu'elle rappelle d'ailleurs toutes deux. Elle ne se contente pas de chanter, elle interprète en vraie tragédienne, jouant en outre d'une plastique exceptionnelle. On se demande pourquoi elle n'est pas en tête d'affiche à Bayreuth , à la Scala ou à Berlin, en place et lieu des volumineuses dames aux voix flasques ou stridentes qui y trônent. Mais il vrai qu'aussi bien Varnay que Nilsson avaient déjà accompli des carrières abondantes avant d'être admises dans ces Saints des Saints Malgré son absence total de prestance, Alan Woodrow est un fort vaillant Siegfried, lui aussi parfaitement à l'aise vocalement, connaissant juste quelques hésitations dans le si difficile récit de sa rencontre avec l'oiseau, avant sa mort. Excellent acteur, Claudio Otelli pâtit un peu en Gunther de la proximité de ces très grandes voix, mais il reste bien assez présent et convaincant, même à côté du magnifique Hagen de Kurt Rydl, lui aussi vraie grande voix, de plus rompu à ce répertoire.
Le reste de la distribution est sans reproche, achevant de donner sa cohérence, sa signification, son remarquable intérêt à un spectacle fort, et même impressionnant.
Autres représentations : les 18, 22, 25 et 29 juin
| | |
| Le 12/06/2003 Gérard MANNONI |
| Le Crépuscule des Dieux au Théâtre du Capitole de Toulouse, France. | Richard Wagner : Götterdämmerung
Orchestre national du Capitole de Toulouse
Choeur du Capitole
Pinchas Steinberg direction musicale
Norbert Balatsch & Pierre Iodice préparation des choeurs
Nicolas Joel mise en scène
Ezio Frigerio décors
Franca Squarciapino costumes
Vinicio Cheli lumières | |
| |
| | |
|