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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Clémence de Titus de Mozart au festival de Salzbourg.
Salzbourg 2003 (4) :
Salzbourg frappée par le terrorisme
Luca Pisaroni (Publio), Veselina Kasarova (Sesto), Michael Schade (Tito).
Après le ratage de Don Giovanni, on avait un peu peur que Titus fasse aussi les frais d'une mise en scène de Martin Kušej. Que nenni, cette fois, son travail, transposé dans le monde du terrorisme et servi par une distribution brillantissime, est cohérent, même s'il ne renouvelle pas complètement l'image d'un opéra bien difficile à porter à la scène.
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Chez Kušej, Titus vit dans une salle du trône encastrée dans un sinistre bunker en béton de trois étages, muni de nombreuses portes et escaliers. L'empereur est paranoïaque, vélléitaire et psychotique, craignant en permanence qu'on attente à sa personne, et semblant peu à l'aise avec ses fonctions. Par un renversement astucieux, le César au grand coeur inspire la même crainte à ses sujets qu'un Caligula. Kušej nous interroge : de même qu'idéalisme et politique ne font pas bon ménage, un monarque trop clément n'est-il pas plus dangereux qu'un monarque pragmatique ?
Tout naturellement, l'incendie du Capitole est perpétré par des terroristes cagoulés. On se croirait à la sortie du World Trade Center en flammes, et juste après le dernier accord de l'orchestre au premier acte, une explosion dont le souffle est ressenti jusqu'au milieu du premier balcon endommage le bunker, désormais noirci de suie. On salue ici la pertinence de l'idée.
Par contre, on se perd en conjectures sur l'apparition de petits garçons en slip – Palmers ? – à la fin de l'ouverture, qui reviennent au finale sans qu'on sache s'ils sont offerts en pature ou confiés aux soins de parents au sourire louche. Métaphore de la guérison mentale du souverain ? d'un règne sain à venir ? de la jeunesse victime d'un règne irréaliste ? ou plus simplement tic quasi-fétichiste de Kušej ? On regrettera de même une direction d'acteurs un peu statique dans les airs, mais la mise en scène se tient de bout en bout, et le souvenir du calamiteux Don Giovanni finit par s'estomper.
Excellente distribution
La distribution, excellente, est de celles que seul Salzbourg peut s'offrir. Michael Schade est un Titus idéal, un vrai tenore di grazia mozartien, souple et agile, aux somptueux mezza-voce, au timbre jeune et clair, dans un rôle qui semble taillé pour lui. Ce soir, convalescent, il apparaîtra un peu diminué dans Se all'impero, mais on ne lui en tiendra pas rigueur.
Question bel canto et agilité, on est littérallement conquis par les deux travestis, le magnifique Sesto de Vesselina Kasarova, au timbre moiré, aux vocalises magistrales – Parto – et aux aigus aussi rayonnants que jadis ceux d'une Christa Ludwig, et l'Annio androgyne et magnifique de timbre et de la toute jeune Elina Garanca, à la présence et aux aigus d'une rare plénitude.
On sera plus réservé sur la Vitellia hystérique de Dorothea Röschmann, vocalement dépassée par un rôle trop exigent, dont certains aigus manquent de fermeté, et dont la voix de poitrine – si fondamentale dans ce rôle à la tessiture très longue – est pleine d'air.
On ne sera guère plus clément à propos de la Servilia tout juste correcte de Barbara Bonney, dont la voix n'a plus la pureté d'antan. Le timbre a perdu de sa jeunesse, l'émission devient instable, et la présence scénique est toujours aussi inexistante. On n'aura en revanche aucune réserve sur le Publio méditerranéen et magnifiquement chantant de Luca Pisaroni, avec sa voix de Don Giovanni.
Reste le cas Harnoncourt, encore très discuté cette année, pour les mêmes raisons que l'an passé. Servi par des Wiener Philharmoniker qui le suivent dans ses derniers retranchements avec une richesse de timbre inouïe, Harnoncourt désosse le dernier opéra de Mozart avec le scalpel du médecin légiste. Sa lecture très noire et pessimiste, en accord avec la mise en scène de Kušej, est lente, jusque dans des récitatifs complètement plombés par des silences à n'en plus finir. On y gagne en analyse littéraire ce qu'on perd en naturel du débit et en continuité dramatique.
Dangereuse instrumentalité du chant
Dans les airs, au rubato insensé, on a l'impression qu'Harnoncourt en fait trop, et l'on est sans arrêt partagé entre une admiration sans borne pour l'intelligence de la démarche, les superbes sonorités, l'acuité des dissonances et l'instrumentalité de la lecture – culminant dans une ouverture proprement géniale – et l'irritation devant la sophistication parfois maniériste des airs, dans lesquels le chef autrichien traite les chanteurs comme des instruments, exigeant beaucoup trop de pianissimos et de silences en arrêts sur image qui dénaturent la ligne de chant et mettent les chanteurs en péril. Sa lecture en microcosme on ne peut plus séquentielle souffre de l'écoute en continu et allonge l'opéra d'un tiers de sa durée.
On ressort toutefois du Manège des Rochers satisfait, car jusque dans ses faiblesses, la nouvelle production du tandem Kušej-Harnoncourt est parfaitement cohérente. Par son côté « terroriste », elle a en tout cas de quoi tirer de leur torpeur les bourgeoises en rideau de douche qui se seraient assoupies à la fin du premier acte.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 26/08/2003 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de la Clémence de Titus de Mozart au festival de Salzbourg. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
La Clemenza di Tito, opera seria en deux actes, KV.621
Livret de Caterino Mazzolà d'après Métastase
Association de concert du Choeur de l'Opéra de Vienne
Orchestre philharmonique de Vienne
direction : Nikolaus Harnoncourt
mise en scène : Martin Kušej
décors : Jens Kilian
costumes : Bettina Walter
Ă©clairages : Reinhard Traub
préparation du choeur : Rupert Huber
Avec :
Michael Schade (Tito), Dorothea Röschmann (Vitellia), Barbara Bonney (Servilia), Vesselina Kasarova (Sesto), Elina Garanca (Annio), Luca Pisaroni (Publio). | |
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