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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Concert de l'Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle au festival de Salzbourg.
Salzbourg 2003 (6) :
La faute Ă Rattle
Quand le festival de Salzbourg touche à sa fin, il est temps pour le Philharmonique de Berlin de faire son entrée dans la ville de Mozart. Cette année, c'est le très médiatisé Simon Rattle qui officie, et pour sa première apparition au festival d'été depuis sa nomination à la tête des Berliner, il n'aura guère brillé.
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Le hasard du calendrier fait parfois bien les choses. Il y a deux mois, à Paris, Pierre Boulez et le Philharmonique de Vienne donnaient la même Musique pour cordes de Bartók présentée ce soir. De même, le Sacre prévu en deuxième partie avait été donné par les Berliner à Lucerne en septembre dernier, toujours avec Boulez. Comment ne pas céder à la tentation de faire des comparaisons, utiles pour jauger deux artistes qui occupent le devant de la scène internationale avec tous les feux braqués sur eux ?
Dans la Musique pour cordes, on avait reproché à Boulez un premier mouvement déconstruit, déphrasé, au crescendo central bien pâle. Chez Rattle, l'Andante tranquillo en question commence mieux, et l'on perçoit d'emblée des phrasés et une arche, car le Britannique n'est pas cantonné dans une battue à la croche. Mais on commence vite à trouver le temps long car les phrases ne vont nulle part. La lecture de Rattle est trop policée, sans la moindre aspérité, et le climat inquiétant, la rugosité de timbre des contrebasses sont aux abonnés absents. Quant au crescendo central, il est encore plus plat que chez Boulez. Mais chez le chef français, les trois mouvements suivants avaient été admirables.
Un Bartók désespérément neutre
Dans le deuxième mouvement, Rattle nous gratifie d'une belle avancée, mais le discours est tellement lissé que chaque détail d'orchestration prévu pour écorcher l'oreille, ou seulement l'interpeller, fait flop ! Desservi par une pianiste des plus placides et un timbalier qui joue du Mendelssohn, cet Allegro déçoit, surtout quand Rattle malmène l'agogique avec des accelerandos arbitraires et tape-à -l'œil. Le mouvement lent, qui offre tant d'options, est raide comme la justice, sans âme. Là où Fricsay jouait l'impressionnisme, Mravinski l'expressionnisme, Reiner le bloc opératoire, Rattle ne joue rien. Le Finale, ni hongrois d'esprit ni endiablé, enfile les notes au kilomètre et le chef super-star y est imprécis, occasionnant un flou rythmique continuel. Plus grave, il accumule les chutes de tension, dans une direction à la neutralité désespérante, aggravée par un piano généreux en fausses notes.
On aborde l'entracte furax, mais la colère avorte grâce à un très beau Concerto pour violon de Ligeti, dans lequel Rattle se montre attentif et bat la mesure avec une clarté inédite. Hormis une certaine imprécision dans les attaques et les harmoniques pas toujours très justes de la violoniste Tasmin Little – par ailleurs excellente et à la cadence inventive dans le dernier mouvement – ce Ligeti est un beau moment.
Mais dans le Sacre, la colère remonte et atteint son point d'acmé, autant en raison de la prestation du chef que de celle de l'orchestre, qu'on n'a pas le souvenir d'avoir entendu jouer aussi mal : clarinette en mib craquant un son sur deux, quatre flûtes jouant horriblement faux dans le début de la deuxième partie, cuivres aux attaques du genre « brame du brontosaure au fond des bois ».
Erreurs de par coeur
On sent à chaque instant une grande nervosité chez des musiciens d'ordinaire sereins. C'est que Rattle – ombre gigantesque de Karajan oblige – dirige de mémoire, et aligne les erreurs de par coeur – entrée des flûtes anticipée de deux mesures dans l'Introduction, entrée de trompette en retard dans la Danse sacrale. Passe encore, mais son Sacre n'a aucune stabilité rythmique et l'on serre les fesses en permanence tant l'orchestre semble au bord d'un gros dérapage. Même si les cordes ont toujours la même sonorité d'acier trempé, ce soir, Berlin n'est plus Berlin mais un obscur orchestre de radio.
Pour enfoncer le clou, Rattle n'a rien à dire dans cette oeuvre et fait ressortir des détails sans la moindre importance. Le nouveau patron des Berliner ne dirige pas du Stravinski, il minaude : ses onze accords répétés qui ouvrent la Glorification de l'élue sont pitoyables de legato et d'alanguissement, sa Danse sacrale, dans un tempo lent jamais habité, mouline dans le vide et avance à la « va-comme-je-te-pousse ».
Quand on se remémore la géniale prestation de Boulez à Lucerne en septembre dernier avec le même orchestre, on en conclut que le ratage de ce soir est la faute à Rattle. Et le ciel nous donne raison : alors qu'il faisait un temps idyllique depuis un mois à Salzbourg, quand on ressort du Grosses Festspielhaus, il pleut. C'est peut-être aussi un peu la faute à Rattle.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 28/08/2003 Yannick MILLON |
| Concert de l'Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle au festival de Salzbourg. | BĂ©la BartĂłk (1881-1945)
Musique pour cordes, percussion et célesta, Sz 106
György Ligeti (*1923)
Concerto pour violon et orchestre
Tasmin Little, violon
Igor Stravinski (1882-1971)
Le Sacre du Printemps, tableaux de la Russie paĂŻenne en deux parties
Orchestre Philharmonique de Berlin
direction : Sir Simon Rattle | |
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