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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production des Contes d'Hoffmann au festival de Salzbourg.
Salzbourg 2003 (8) :
Hoffmann a le spleen
Pour ses débuts à Salzbourg, David McVicar, l'un des metteurs en scène d'opéra les plus en vue du moment, aura réussi un coup de maître, avec ses Contes d'Hoffmann plongés dans la fantasmagorie et les bas-fonds d'un XIXe siècle moribond. Dommage dans de pareilles conditions que l'affiche ne soit pas à la hauteur.
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Quelle bonne surprise que ces Contes d'Hoffmann cohérents et doublés d'une direction d'acteurs exemplaire. Dans un univers glauque et déprimant, Hoffmann est une loque, toxico et alcoolo, qui rudoie Nicklausse, véritable souffre-douleur mais aussi seul être qui le comprend et lui reste fidèle. La scène d'Olympia, agrippée à sa harpe comme après des fils électriques et mise en branle par un Cochenille entre Frankenstein et le Renfield de Bram Stoker revu par Coppola, est une mine de trésors, et apitoie autant qu'elle amuse.
Le décor unique, une salle de château délabrée, ravagée par l'humidité, et agrémentée de quelques éléments au fil des actes, dégage une intense nostalgie : un arbre mort qui pleure des violons dans l'acte d'Antonia, la lune et les étoiles qui scintillent au dessus d'une gondole dans l'acte vénitien
La mise en scène de McVicar est le théâtre même et regorge de bonnes idées : deuxième acte façon laboratoire de biologie, hymne à la toute puissance de la science, à la fin duquel Coppélius, après s'être enfermé dans l'isoloir de verre qui abrite Olympia, désosse la pauvre poupée avec une jubilation sadique et satanique ; apparition quasi irréelle de la mère d'Antonia comme sortant d'un tableau poussiéreux ; acte de Venise sordide et envoûtant à la fois, partagé entre sévices corporels à la manière de Casanova, et orgie homoérotique à la Pasolini, où les corps se frôlent, s'enlacent, se repoussent et se chassent autour d'une Giulietta vénéneuse.
Excellence de la scène, ravagée par une équipe musicale en tous points insuffisante.
La direction de Nagano tout d'abord. On se souvient d'une pâte sonore transparente et de dosages subtils il y a maintenant dix ans de cela à l'Opéra de Lyon. Ce soir, avec un orchestre incommensurablement meilleur, le Philharmonique de Vienne, la battue peine à décoller, particulièrement dans un premier acte soporifique, perdu comme dans les lenteurs étouffantes d'un Parsifal.
Régression musicologique
Seul l'acte de Venise atteint un rythme de croisière, et traduit bien les moiteurs de la lagune. Mais on reste perplexe, d'autant que la partition choisie par le chef japonais apparaît comme une régression musicologique, Nagano retournant à la « version Salzbourg » de Ponnelle, compromis entre les éditions Choudens et Oeser, toutes deux douteuses du point de vue musicologique.
Donc ce soir, pas l'ombre d'un dialogue, rien que des récitatifs, souvent étrangers à la plume du compositeur. Mais ce n'est peut-être pas plus mal, car le point noir de ces Contes d'Hoffmann est le français effroyable des chanteurs comme des choeurs. On ressort du Grosses Festspielhaus en n'ayant pas compris un mot de la soirée. Un comble ! Aussi grave, pas d'esprit de troupe, juste un alignement de stars du gosier.
Distribution à l'effroyable français
Neil Shicoff est Hoffmann depuis trente ans, avec une énergie et une incarnation fascinantes. Véritable machine à aigus, l'Américain montre toutefois des signes de fatigue. L'émission est moins stable qu'autrefois, le passage – très sollicité dans le rôle-titre – moins facile, les fréquents ports de voix de mauvais goût et le français peu reluisant.
Ruggero Raimondi est impressionnant de caractérisation dans les quatre rôles du diable, mais le timbre est si blanchâtre et livide qu'on verrait presque à travers. Plus rien ne sort de cette voix naguère grande et le français est pour le moins exotique.
Avec le quadruple valet de Jeffrey Francis, on aborde les chanteurs au français incompréhensible, et pourtant, le ténor possède le timbre adéquat, aigrelet comme un Mime, mais il en rajoute jusqu'à la nausée dans l'air de Frantz. L'Olympia de L'ubica Vargicová n'est pas plus intelligible, chante bas dans ses vocalises, et ses aigus sont corrects, sans plus.
Krassimira Stoyanova est une Antonia magnifique de timbre, de présence, avec un legato somptueux, mais on croirait qu'elle chante dans son bulgare natal. Amateurs de voyelles vagues et de consonnes molles, bienvenue à Salzbourg ! Quant à Waltraud Meier, on dira poliment qu'elle n'est pas à sa place dans le rôle de Giulietta, avec sa diction chamallow – pourtant, à la ville, l'Allemande parle un français remarquable – et ses envolées lyriques trop encombrantes.
Le Spalanzani de Robert Tear et le Crespel de Kurt Rydl font des efforts pour bien prononcer mais sont vocalement négligeables, alors que la très courte apparition de Marjana Lipovšek en fantôme de la mère d'Antonia impressionne par un singing formant qui seul rend justice à l'immensité de la scène et de la salle.
Enfin, la distribution est dominée par le Nicklausse d'Angelika Kirchschlager, dont la diction, loin d'être parfaite, s'efforce toutefois d'être intelligible, et dont le magnifique timbre de mezzo léger, qu'on qualifie parfois de « dugazon », rend justice à un rôle de faire-valoir qui prend soudain une épaisseur inédite.
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Großes Festspielhaus, Salzburg Le 30/08/2003 Yannick MILLON |
| Nouvelle production des Contes d'Hoffmann au festival de Salzbourg. | Jacques Offenbach (1819-1880)
Les Contes d'Hoffmann, opéra fantastique en cinq actes
Livret de Jules Barbier d'après le drame de Jules Barbier et Michel Carré
Version de Salzbourg, d'après les éditions Choudens et Oeser
Association de concert du Choeur de l'Opéra de Vienne
Orchestre philharmonique de Vienne
direction : Kent Nagano
mise en scène : David McVicar
décors et costumes : Tanya McCallin
éclairages : Paule Constable
chorégraphie : Andrew George
préparation du choeur : Rupert Huber
Avec :
Neil Shicoff (Hoffmann), Angelika Kirchschlager (La Muse/Nicklausse), Ruggero Raimondi (Lindorf/Coppélius/ Docteur Miracle/Capitaine Dapertutto), Jeffrey Francis (Andrès/Cochenille/Frantz/Pitichinaccio), Ursula Pfitzner (Stella), L'ubica Vargicová (Olympia), Krassimira Stoyanova (Antonia), Waltraud Meier (Giulietta), Marjana Lipovšek (voix de la Mère), Kurt Rydl (Crespel), Robert Tear (Spalanzani), John Nuzzo (Nathanaël), Peter Loehle (Luther), Markus Eiche (Hermann), Jochen Schmeckenbecher (Schlemil). | |
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