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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Festival International des musiques d'aujourd'hui à Strasbourg, les 26, 27, 28 septembre.
Héritage et continuité
Pour sa vingt et unième édition, le Festival Musica de Strasbourg affiche des choix forts et diversifiés. Un acte de foi en la création. Remplir le Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg pour un concert tout contemporain, n'est-ce pas déjà un signe évident de réussite ?
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Complicité artistique
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Hommage au réalisme poétique
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Ce premier week-end du vingt et unième Musica fut une très prenante entrée en matière qui porta un public passionné de salle en salle, de découvertes en retrouvailles.
Stockhausen : la suite de Sonntag
Avant même la soirée d'ouverture, un Prologue Stockhausen avait permis dès vendredi soir, d'entendre et de voir pour la première fois en France Düfte-Zeichen, quatrième scène de Sonntag, l'un des ultimes moments de Licht, monumentale oeuvre cosmogonique d'une durée de quelques 35 heures à laquelle le compositeur travaille depuis 1977.
Dans cette vaste structure, Sonntag est « le jour de l'union mystique entre Eve et Michaël », lequel est incarné par un enfant qui arrive à l'appel final du contralto. Sept solistes, sept scènes, sept signes, sept couleurs et sept senteurs sont la base de cette symbolique très typique de la démarche de Stockhausen, dans la mesure où la complexité de la pensée et de l'écriture musicales se concrétisent en un spectacle d'une gestuelle nettement naïve évoquant même quelque rituel sectaire.
Mais la musique est là , superbe travail de quelques soixante minutes sur les voix, servi par des chanteurs de haut niveau, et l'on sait que le reste de Licht contient maints passages d'une force et d'une personnalité indiscutables. Après une première audition de l'oeuvre, Stockhausen donna quelques explications assez décevantes, se contentant de préciser l'origine et la signification assez évidente des sept parfums brûlés au cours du concert. Une deuxième audition suivait.
Hanspeter Kyburz
Les deux concerts du samedi permettaient de découvrir la personnalité du compositeur suisse Hanspeter Kyburz, principal invité du festival et quasiment inconnu en France. Une forte personnalité, d'ailleurs, que celle de ce quadragénaire à l'oeuvre déjà importante et nettement dans la lignée d'un Ligeti ou d'un Penderecki, des oeuvres du premier jouées d'ailleurs tant au concert du remarquable Quatuor Diotima qu'au concert d'ouverture.
De Kyburz, donc, nous n'entendîmes que cinq minutes d'un quatuor encore très inachevé, mais un remarquable concerto pour piano et le non moins impressionnant The Voynich Cipher Manuscript. Composé en 2000, le concerto, avec une écriture très sophistiquée, brillante, personnelle, libérée de toute école mais à l'esthétique hyper actuelle, pourrait s'inscrire dans lignée de ces grandes pièces de concert signées Liszt ou Ravel, avec tout l'apport d'un siècle supplémentaire de réflexion et de innovations sonores. Avec l'Ensemble Modern sous la direction de Martyn Brabbins, Ueli Wiget en était l'interprète prodigieusement habile et inspiré, notamment dans cette belle introduction méditative du mouvement central.
The Voynich Cipher Manuscript s'inspire d'un manuscrit très ancien indéchiffrable et nécessite d'amples moyens. Onze groupes d'instrumentistes et de chanteurs répartis autour de la salle sur des praticables élevés, des solistes vocaux placés dans le public, tout cela parfaitement justifié par la qualité du relief sonore obtenu, tellement plus vivant et expressif que les artificiels jeux de haut-parleurs si souvent utilisés ailleurs. L'oeuvre est d'une très grande beauté plastique, riche en couleurs, en rythmes, en contrastes de tous ordres, avec de grands déchaînements déstabilisants qui rappellent parfois certains climats des Diables de Loudun de Penderecki ou du Grand Macabre de Ligeti.
Rien d'inutile dans la complexité de l'écriture qui n'est jamais de la pure recherche intellectuelle, mais émane d'un vrai sens du dialogue que le son dans sa diversité et ses richesses peut instaurer avec l'auditeur. Aucune démagogie, aucune facilité non plus. Simplement de la très belle musique servie par les forces conjointes de l'Ensemble Modern et du SWR Vokalensemble Stuttgart dirigés par Martyn Brabbins.
Récital de Christophe Desjardins
Que dire enfin du récital donné dimanche matin par l'alto solo de l'Ensemble Intercontemporain Christophe Desjardins ? On ne découvrait pas le talent exceptionnel de ce musicien hors pair, mais quand même !
Aligner ainsi des pages de Jarrell, Béranger, Grisey, Harvey et Nunes, souvent par coeur, avec une musicalité et une intelligence d'approche si permanentes, c'est assez phénoménal, d'autant que c'est finalement l'extrême qualité de chacune de ces oeuvres qui ressortait d'abord avec éclat.
Une sorte de panorama de la littérature contemporaine pour alto, depuis le Prologue de Grisey de 1976 jusqu'à la création du Triangle de Pascal de Sébastien Béranger, oeuvre brève mais très fine, très sensible, très subtile, en passant par le si bref Chant de Jonathan Harvey de 1992, le magnifique Some leaves de Michael Jarrel de 1998 et la première française du vaste et émouvant Improvisation II-Portrait d'Emmanuel Nunes à l‘écriture bouleversante de maîtrise sensible et d'imagination.
Bien d'autres concerts vont suivre jusqu'au 10 octobre, riches encore de souvenirs et de découvertes, dans ces lieux étonnants dont dispose Strasbourg, parfois très modernes, parfois nostalgiques comme ce Palais des Fêtes un peu défraîchi, parfois totalement décalés comme cet imposant Palais du Rhin évocateur de quelque Walhalla wagnérien.
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Palais des Congrès, Strasbourg Le 28/09/2003 Gérard MANNONI |
| Festival International des musiques d'aujourd'hui à Strasbourg, les 26, 27, 28 septembre.
| Karl Heinz Stockhausen
Düfte Zeichen, extrait de Sonntag
Hanspeter Kyburz
Quatuor
Concerto pour piano
The Voynich Cipher Manuscript
Quatuor Diotima
Ensemble Moderne & SWR Vokalensemble Stuttgart (Martyn Brabbins, direction)
Christophe Desjardins, alto
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