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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Lohengrin de Wagner Ă l'Auditorium de Dijon
Lohengrin sauvé par les dames
Gillian Webster (Elsa) et Julia Juon (Ortrud)
Pour mettre en valeur son acoustique incomparable, l'Auditorium de Dijon a programmé un Lohengrin mis en scène par Philippe Godefroid, un habitué de Wagner qui avait déjà mis en scène le Ring et Parsifal dans les années 90. Mais ce soir, il faudra tout le talent des deux protagonistes féminines pour faire oublier une prestation musicale moyenne et une mise en scène originale mais douteuse.
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Dans son Lohengrin, Philippe Godefroid fait montre de bonnes idées, d'une ligne directrice qui joue à fond la carte du pessimisme. Il a choisi de faire intervenir sur scène Parsifal, père de Lohengrin, qu'on voit lors du prélude poignarder un christ en croix couché. Le « chaste fol » assistera à l'action à l'avant-scène, dans une sorte de couloir clinique dont le sol est couvert de gros carrelage blanc. Le monde réel de l'opéra est représenté derrière, et au départ voilé par un tulle donnant aux scènes de foule un effet de filtre de cinéma plutôt réussi. Lohengrin est peint comme un être hystérique et inquiétant, télécommandé par son père dont on a du mal à comprendre les vraies motivations. Godefroid dépeint les Brabançons comme une bande de dévots balourds niant le surnaturel.
Mais pourquoi enfoncer le clou jusqu'au ridicule en faisant se signer tous les personnages à la moindre invocation du Très-Haut, pourquoi grossir le trait de la trivialité du peuple en faisant s'esclaffer les hommes comme des Gaulois, et pourquoi faire crier les femmes comme une meute de jouvencelles sur un grand 8 quand Lohengrin terrasse Friedrich ? Malheureux expédients qui ruinent le sérieux de l'entreprise. De même, on reste sceptique devant ce « Lohengrin Skywalker » qui s'amuse avec une épée fluorescente, puis n'a qu'à sonner du cor pour mettre hors d'état de nuire Friedrich durant le combat.
"Heil !" et bruits de bottes
Godefroid cherche à sortir de la simple peinture médiévale, pour en référer à un sens caché, la montée du nazisme : foule en liesse brandissant bras et lances en criant « Heil ! » ; peuple en période de crise politique prêt à suivre son guide à tout prix ; apparition de Gottfried éclopé, anti-héros à la tête d'un peuple à qui il laisse augurer de bien tristes jours ; jusqu'au lourd bruit de bottes d'une Wehrmacht en marche, entendu rideau baissé pendant le silence précédant le dernier accord. Pourquoi pas ? Mais un peu facile et moralisateur de la part d'un metteur en scène français bien pensant, dans une oeuvre dont l'évocation de la suprématie de la race germanique n'est que folklore.
La scénographie est pourtant assez belle : costumes soignés, éclairages particulièrement réussis même si parfois trop sombres, décors minimaux, avec omniprésence d'escaliers-praticables qui forment un décor à géométrie variable et offrent de multiples possibilités à l'espace scénique. Mais là encore, le bât blesse : le raffût occasionné par les incessants déplacements des praticables, en de disgracieux grincements et craquements, est vraiment agaçant.
Côté musique, si les choeurs emportent l'adhésion par une belle présence, l'orchestre déçoit par un flagrant manque d'engagement des musiciens, constamment précautionneux ou sur des œufs – inquiétants écarts d'intonation du hautbois. On dirait que les instrumentistes ont peur d'abîmer leur archet. En résulte un jeu pour le moins chambriste et discret, beaucoup trop effacé. La direction de Dominique Trottein, jamais vertigineuse ou géniale, est pourtant louable par sa belle continuité et son geste clair.
Impossible Lohengrin
Au niveau vocal, la prestation est en dents de scie. On oubliera sitôt après l'avoir entendu l'épouvantable Lohengrin de John Horton Murray. L'Allemand chante horriblement faux – émission constamment trop basse – et n'est pas aidé par un timbre peu flatteur et une technique en tout point insuffisante : chaque son est crié, et les pianos sont proprement hideux – Récit du Graal anéanti.
Le Roi Heinrich d'Alan Ewing n'est guère mieux chantant – voix terne, chevrotante – et seul son beau charisme en scène sauve les meubles. Le Héraut du tout jeune Jean-Sébastien Bou, sans être inoubliable, est du moins de belle tenue. Seul homme entièrement convaincant de la distribution, le Friedrich de Hannu Niemela est doté d'un timbre noir adéquat, d'un vrai volume de wagnérien, et d'une assurance exemplaire dans l'aigu.
Les femmes restent les étoiles de la soirée : Elsa à la musicalité remarquable, à la belle présence, et à la pureté d'émission de Gillian Webster, et Ortrud génialement vipérine de Julia Juon, au timbre vert et acéré à souhait, aux attaques tranchantes et à la projection franche. Chez toutes deux, on émettra seulement une réserve sur les notes les plus aiguës, encore fraîches.
Le chant wagnérien, même s'il commence à sortir des abysses où il était plongé depuis trente ans, reste en crise, et par les temps qui courent, deux femmes pour sauver Lohengrin, c'est certes peu, mais ce n'est déjà pas si mal.
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