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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert de la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Bernard Haitink au Théâtre du Châtelet, Paris.
Le russe lui va tellement mieux
A l'occasion du 75e anniversaire de Bernard Haitink, l'orchestre de la Staastkapelle de Dresde et le chef néerlandais sont actuellement en tournée. Leur détour parisien au Châtelet était donc à marquer d'une pierre blanche, notamment pour une magnifique Pathétique de Tchaïkovski, même si toute la maîtrise de l'orchestre n'aura pas suffi à donner vie à un laborieux Concerto pour orchestre de Bartók en première partie de concert.
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Quel plaisir de voir entrer en scène en à peine trente secondes et avec organisation un orchestre qui a de l'allure, quel bonheur d'entendre un accord aussi rapide et efficace ! Avant même que la musique commence, on est déjà impressionné par tant de classe et de tenue. Et dès que Haitink lève le bras droit pour donner le premier départ, on est soufflé par une gestique à la fois belle et compétente, une parfaite adéquation du geste au son, la précision des départs et l'incroyable maîtrise et sérénité du grand chef néerlandais.
Mais d'emblée, le Concerto de Bartók empreint un malaise. Haitink en donne une lecture trop lente, appliquée et désespérément terne. Pourtant, le son est propre, la mise en place et la justesse remarquables mais à aucun moment on ne rentre vraiment dans l'oeuvre et ses tourments. Le Bartók de Haitink est trop policé, lisse et dénervé, et s'enlise très vite – coda du premier mouvement par exemple. Le Jeu des Couples est terriblement intellectualisé, sans humour ni ironie. L'Elégie, pourtant au beau climat nocturne, déçoit.
On franchit un pas supplémentaire dans un Intermezzo interrotto asphyxiant, avec un passage central d'ordinaire franchement sarcastique mais ici réduit au néant, sans la moindre arête vive. Le Finale, pourtant fort bien géré dans ses rapports de tempo, ne décolle pas non plus. Quelques spectateurs feront payer le cruel manque d'énergie de cette première partie par des huées, chose fort rare dans un concert symphonique.
On garde toutefois espoir que la deuxième partie, entièrement consacrée à la dernière symphonie de Tchaïkovski, se déroule sous de meilleurs augures. On connaît bien l'affinité de Haitink avec ce répertoire, et l'on a en mémoire le génial et foudroyant Roméo et Juliette du Royal Albert Hall en 1993 avec le Philharmonique de Berlin, disponible en DVD chez TDK, traité de direction d'orchestre et d'excellence orchestrale.
Sans atteindre les vertiges du concert en question, ou les délires de Mravinski ou Gergiev, la Pathétique de Haitink est une très grande réussite. Le début du premier mouvement est hypnotique, avec des silences suffocants, la beauté des cordes renversante – quand trouvera-t-on pareil pupitre d'altos et d'aussi beaux violons dans un orchestre français ? – et la manière d'énoncer le thème principal de l'Allegro non troppo emplie de doute, de douleur rentrée, avec un phrasé parfaitement adéquat et un legato royal.
Dans l'épisode central agité, Haitink prend un tempo rapide et les cordes se font impétueuses, en jouant sur la totalité de l'archet et au fond de la corde. Tout ce qui manquait en première partie est désormais là : contrastes dynamiques marqués, énergie permanente, fulgurances de la percussion, cuivres coupants. Mais plus impressionnant encore est l'épisode qui suit le climax, d'ordinaire immédiatement apaisé, mais ici comme l'écho affaibli d'un séisme à peine terminé. Et le mouvement s'achève dans une quiétude magistralement rendue par un choral de cuivres à la justesse parfaite.
La Valse est admirablement fondue, au point de ne plus remarquer la mesure bancale du 5/4, et dispense des sonorités diaphanes et suaves. La marche à la frénésie presque incontrôlable qui fait office de troisième mouvement est parfaitement gérée, virtuose – légèreté du perpetuum mobile des croches aux cordes – grisante à souhait sans jamais tomber dans la musique de foire. Le rythme y est fortement scandé, la percussion présente – détonante grosse caisse – et Haitink se paie même le luxe, après une coda qui lance en général des tonnerres d'applaudissements, d'imposer par un geste d'une incroyable autorité un silence absolu dans la salle.
L'Adagio lamentoso, à forte teneur lacrymale, est d'autant plus émouvant qu'il est relativement sobre, avec un vibrato de cordes intense mais jamais forcé. La manière dont Haitink prépare la « descente aux enfers » de la coda, avec une impitoyable lucidité, mériterait à elle seule des pages de commentaires. Comme toujours chez le chef néerlandais, même dans la lenteur, jamais on ne perd la notion de pulsation, ici très régulière et représentative de l'inéluctabilité du fatum russe, cette machine à broyer de l'humain, ce destin que ne peut détourner aucune échappatoire.
Une Pathétique qui confirme que Haitink est bel et bien au sommet de sa carrière et qu'indiscutablement, le russe lui va tellement mieux !
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Théatre du Châtelet, Paris Le 18/11/2003 Yannick MILLON |
| Concert de la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Bernard Haitink au Théâtre du Châtelet, Paris. | Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour orchestre (1943)
Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie n°6 en si mineur op.74, « Pathétique » (1893)
Sächsische Staatskapelle Dresden
direction : Bernard Haitink | |
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