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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Troisième symphonie de Mahler par l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach au Théâtre Mogador, Paris.
Mahler par monts et par vaux
La 3e symphonie de Mahler représente une véritable gageure pour les orchestres. Cette saison, c'est l'Orchestre de Paris et Christoph Eschenbach qui relèvent le défi. Et force est d'admettre que l'on aura vécu de grands moments au Théâtre Mogador, même si les pérégrinations mahlériennes de l'orchestre de Paris sont parfois un rien en dents de scie.
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Dès le grand portique énoncé par les huit cors, on est impressionné par l'homogénéité et la puissance de l'articulation. Quelques imprécisions dans les attaques du motif des trompettes en triolets grèvent un peu la vigueur et la noirceur de l'ensemble, mais hiver oblige, les orchestres connaissent souvent un léger grippage à l'allumage, car à la réexposition, ces réserves s'évanouissent, et les chocs de timbres, la violence d'une nature encore indomptée s'y trouvent alors transfigurés. L'immédiateté des effets déclenchés par le geste angoissé du chef allemand, si elle traduit souvent un rien de nervosité, peut aussi prodiguer une incroyable exaltation, à l'image de la virevoltante coda du premier mouvement que l'orchestre expédie avec un remarquable panache.
Irréprochable Menuet
Le Tempo di minuetto, premier sommet de la soirée, est en tous points admirable de par son adéquation sonore – on y nage en pleines sonorités viennoises –, sa finesse et sa précision, sa variété de climats et sa parfaite rusticité. Moins irréprochable, le Comodo souffre par endroits d'un tempo trop allant, et pourtant Mahler demande clairement Ohne Hast. Le solo de cor de postillon rencontre en Frédéric Mellardi un interprète inspiré, à la technique d'aigu remarquable, et à la justesse très soignée, mais le léger vibrato typiquement français dévolu aux tenues ne sera jamais ad hoc dans Mahler, et prive du coup le si beau solo d'une partie de son immatérialité.
Lied insignifiant et Ă bout
Le quatrième mouvement – le lied O Mensch ! – chute au plus profond d'un précipice, en raison de l'insignifiante Susan Platts – aucun legato, émission instable, vilain vibrato – que ne rachète en rien un rang de cuivres à bout – attaques flottantes, multiples couacs, justesse chaotique. Le cinquième mouvement souffrira quant à lui d'une mise en place flottante, de la neutralité du choeur de femmes et de voix d'enfants pleines d'air.
Mais on sort du gouffre pour s'élever alors plus haut que dans les meilleurs moments des trois premiers mouvements et atteindre un Everest musical, un Langsam final inoubliable par sa conduite dramatique, sa tension jamais relâchée des cordes, son climat sobre qui ne force jamais le texte et finit par submerger d'émotion.
La pulsation, lente et ferme, souple et puissante, rend subtilement la nostalgie mahlérienne, et Eschenbach regorge d'idées géniales dans la conduite polyphonique des voix, dans l'enchaînement des différents épisodes, dans la manière de tirer des sonorités magiques des violoncelles. Certains détails instrumentaux font chavirer, comme la reprise du motif principal par la flûte et la clarinette à l'unisson, ici diaphanes et sublimes au-dessus d'un tapis de cordes à la suavité envoûtante.
Coda brucknérienne
Le chef allemand gère parfaitement les deux crescendos successifs, et conclut par une coda monumentale et grandiose, embrasant tous les éléments dans une cosmogonie sonore qui va jusqu'à troubler la perception du temps. Le tempo très lent imposé aux mouvements cadentiels des timbales nous plonge comme dans une péroraison brucknérienne à la portée universelle, et sonne comme la seule fin logique et possible pour cette symphonie de presque deux heures, alors qu'elle laisse presque toujours une impression d'incapacité du compositeur à terminer son chef-d'oeuvre, même chez des chefs de l'envergure de Bernstein ou Boulez.
Quoi qu'il en soit, le défi a été relevé avec tous les honneurs, et même si les Parisiens n'auront jamais dans ce répertoire le raffinement sonore des Berlinois ou des Viennois, et que dans la chaleur de la salle et la tension de l'instant, l'orchestre a presque monté d'un demi-ton pendant le dernier mouvement, l'Orchestre de Paris peut se féliciter d'avoir atteint un tel niveau dans ses pérégrinations mahlériennes par monts et par vaux, car cela n'est pas donné à tout le monde !
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Théâtre Mogador, Paris Le 08/01/2004 Yannick MILLON |
| Troisième symphonie de Mahler par l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach au Théâtre Mogador, Paris. | Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n°3 en ré mineur pour voix d'alto, choeur de femmes, choeur d'enfants et grand orchestre
Susan Platts, alto
Choeur de l'Orchestre de Paris
direction : Didier Bouture et Geoffroy Jourdain
Choeur d'enfants Nadia Boulanger
direction : Christine Morel
Roland Daugareil, violon solo
Frédéric Mellardi, cor de postillon
Orchestre de Paris
direction : Christoph Eschenbach | |
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