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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de La Traviata à l'Opéra de Rouen.
Les chants les plus tristes sont toujours les plus beaux
Mireille Delunsch (Violetta)
Après les turbulences de l'été dernier qui devaient décider de l'annulation du Festival lyrique d'Aix-en-Provence à l'issue d'une représentation particulièrement mouvementée de La Traviata, l'Opéra de Rouen-Haute Normandie accueille pour six représentations le chef d'oeuvre de Verdi avec un atout maître : Mireille Delunsch, une Violetta d'anthologie.
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On n'oubliera pas de si tôt la vision lamentable du Théâtre de l'Archevêché donnée par « certains » intermittents du spectacle, le 9 juillet dernier, lors de la soirée d'ouverture du Festival lyrique d'Aix-en-Provence, avec La Traviata de Verdi, et qui allait se traduire par l'annulation du Festival. Mais on n'oubliera pas non plus Mireille Delunsch, brave petit soldat affrontant la tempête pour assurer jusqu'au bout, et dans l'honneur, la représentation.
Et ce n'est pas par hasard si depuis le 13 janvier, la production est accueillie par l'Opéra de Rouen, un vrai lieu vivant et ambitieux, que la politique musicale conduite par Laurent Langlois a porté aux premier rang de nos scènes nationales. Car, à travers l'histoire qui nous est donnée à voir et à entendre, cette production est un superbe défi lancé à la modernité des arts de la scène.
Sous l'immense rideau de pluie qui s'abat sur un ruban d'autoroute, une femme avance, égarée, épuisée, et s'effondre, terrassée. Une voiture invisible fonce vers le tunnel de l'Alma, frôlant les piliers de sinistre mémoire, tandis qu'un essuie-glaces géant balaye la scène. Images violentes dont la musique soudain abolit le bruit et la fureur, atmosphère de désolation d'une mort annoncée, pendant laquelle le metteur en scène Peter Mussbach va commencer à décliner la lente agonie qui la sanctionne.
Chez cette femme – écrit-il – ce qui m'intéresse c'est la perception de l'amour surgissant exactement au moment où cette perspective-là , l'amour, est une chose déjà perdue. Un peu comme le narrateur de « La Recherche », lorsqu'il découvre que le « Temps retrouvé » ne lui est donné qu'au moment où il le saisit comme « en allé ». Cette connaissance, je voudrais que le spectateur la suive pas à pas. Ce n'est pas inventé, pas imaginé ; c'est ce que l'oeuvre dit.
Et le message semble avoir été reçu. Pendant deux heures et demi, on ne voit qu'elle, Violetta Valery, la « traviata ». Autour d'elle, les autres personnages évoluent comme des ombres avalées par la nuit, ou des insectes affolés par les lumières de la fête. Ils la cernent, la harcèlent, obtenant d'elle qu'elle consente à l'abandon du seul amour qui aurait pu lui sauver sa vie, avant d'accorder à la femme humiliée une ultime rédemption.
Un cygne tombé du ciel
Dans l'unique robe blanche qui lui fait écrin, Mireille Delunsch ressemble à un cygne tombé du ciel, blessé à mort, chassé du paradis. Son interprétation est celle d'une vraie tragédienne, entièrement habitée par le drame qu'elle incarne et la musique qu'elle exprime avec un réalisme confondant. Humaine plus qu'humaine, courtisane adulée, amoureuse meurtrie déjà rongée par la maladie, elle joue de la parfaite ductilité de sa voix, de toute la richesse de son timbre, pour libérer les tensions et les émotions du personnage, loin de cette recherche éperdue du « beau son » à tout prix qui trop souvent nous laisse de marbre. Bouleversante !
A ses côtés, le ténor Valeriy Serkin est un Alfredo nettement insuffisant, dont les problèmes de justesse se révèlent à la longue particulièrement gênants. En revanche Germont à trouver en Angelo Veccia un interprète d'une présence vocale et scénique de premier ordre.
Une mention très spéciale au choeur, où l'on retrouve l'extrême élégance de la griffe de Laurence Equilbey (actuellement en résidence à l‘Opéra de Rouen), et à l'engagement de l'orchestre Léonard de Vinci, tous pupitres confondus. Sous la direction visiblement inspirée d'Oswald Sallaberger, il a magnifiquement rendu justice à la beauté de la musique, à la pulsion mortelle qui la soustend, et à la mélancolie infinie qui l'accompagne.
Comme quoi les chants les plus tristes sont toujours les plus beaux.
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