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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Reprise du Peter Grimes mis en scène par Graham Vick à l'Opéra Bastille, Paris.
Rumeurs et fureurs océanes
Trois ans après son entrée au répertoire de l'Opéra National de Paris, Peter Grimes, sans doute le chef d'oeuvre de Benjamin Britten, inspiré du poème de l'écrivain britannique George Grabbe The Borough, retrouve la scène de Bastille, enrichi d'un plateau exceptionnel, dans la réalisation impressionnante de Graham Vick.
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Lors de son entrée, en 2001, au répertoire de l'Opéra de Paris, le Peter Grimes de Benjamin Britten avait déjà fait l'unanimité sur la qualité d'une production qui met en scène la tragédie d'un homme, seul contre tous face à la cruauté d'une communauté en proie à la pire des rumeurs. Mais le spectacle semble s'être encore affiné dans l'approche psychologique des personnages, en accédant à un réalisme saisissant, au point de donner tout son sens et toute sa force à la partition de Britten, superbement mise en évidence par l'orchestre et un chef de grande classe, Roderick Brydon.
Le rideau se lève sur la salle des assemblées d'un petit village côtier du nord de l'Angleterre, où un homme est mis en jugement. C'est Peter Grimes, le pêcheur, un homme dont l'étrangeté et la brutalité suscitent l'hostilité des villageois. Sa dernière sortie en mer a été fatale à son jeune mousse. Soupçons, procès expéditif, non-lieu, et la rumeur qui s'installe. Mais Grimes ne veut pas l'entendre et obtient qu'on lui donne un nouvel apprenti, un jeune garçon de l'orphelinat voisin.
Bientôt, Ellen, l'institutrice qui refuse l'attitude haineuse de la petite bourgade, remarque des traces de violence sur le corps de l'enfant. Grimes aurait donc recommencé. Interrogé, il la frappe. Malgré la tempête qui se déchaîne, le pêcheur a décidé de prendre la mer avec le mousse. Pour échapper aux témoins de la scène qui se dirigent vers sa cabane, il pousse l'enfant à l'extérieur, celui-ci tombe du haut de la falaise et se tue.
Interludes marins entre fureur et brusques accalmies
Peter est une seconde fois accusé. Rendu fou par les hurlements des villageois, il implore Ellen qui réussit à la convaincre de partir et de ne pas revenir. Le lendemain, on annonce dans l'indifférence générale qu'un bateau est en train de couler au large. Et pendant près de trois heures, la musique de Britten se déploie en vague incessantes, prenant en étau les protagonistes dans des interludes orchestraux qui traduisent leurs mouvements les plus intimes, et impose l'omniprésence de la mer, de ses fureurs ou de ses brusques accalmies.
Dans son traitement vocal, elle fait de chaque personnage un archétype de l'hypocrisie ou de la sottise, de la bigoterie ou de la compassion, de la perversité ou de la lâcheté. Et la mise en scène de Graham Vick les suit de près, dans une atmosphère étouffante, accentuant les pulsions contenues qui les habitent, ou les libérant dans les débordements de la taverne où ils se retrouvent et montrent leur vrai visage. Elle maintient une tension qui donne à l'action et à la musique leur dynamique interne et leur parfaite lisibilité. Elle répond surtout à cette volonté de Britten de cristalliser et retenir l'émotion se dégageant de toute situation dramatique.
Un Peter tout de grandeur et d'ambiguïté
Le ténor Anthony Dean Griffey est un Peter qui donne au rôle toute sa grandeur et son ambiguïté. Ampleur de la tessiture, chaleur du timbre, il est bien ce marginal, cet exclu, capable du pire et qui pourtant rêve d'un bonheur tranquille, d'une femme, d'un foyer, et de la respectabilité de ses concitoyens. Il incarne de manière troublante, l'étranger décrit Xavier de Gaulle dans sa passionnante biographie, quelqu'un sur qui la réalité n'a simplement pas la même prise que sur les autres. Et c'est cette radicale étrangeté que le bourg n'accepte pas.
Brigitte Hahn est Ellen, l'institutrice au grand coeur, qui l'aime et tente en vain de la sauver de ses démons. Une vocalisation de toute beauté et une souplesse idéale lui permettent toutes les inflexions requises pour exprimer la compassion, la tendresse et la détermination. A leurs côtés, les excellents Peter Sidhom (Captain Balstrode), Michael Druiett (Swallow), Ian Caley (Bob Boles), Claire Powell (Auntie), Della Jones (Mrs. Sedley) composent un plateau exemplaire qui fait honneur à l'Opéra de Paris.
Prochaines représentations les 31 janvier, 4 et 7 février.
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Opéra Bastille, Paris Le 25/01/2004 Françoise MALETTRA |
| Reprise du Peter Grimes mis en scène par Graham Vick à l'Opéra Bastille, Paris. | Benjamin Britten (1913-1976)
Peter Grimes, Opéra en trois actes, un prologue et un épilogue (1945)
Livret de Montagu Slater, d'après le poème de George Grabbe The Borough
Choeurs et Orchestre de l'Opéra National de Paris
direction musicale : Roderick Brydon
mise ne scène : Graham Vick
décors et costumes : Paul Brown
éclairages : Matthew Richardson
préparation des choeurs : Peter Burian
Avec :
Anthony Dean Griffey (Peter Grimes), Brigitte Hahn (Ellen), Peter Sidhom (Captain Balstrode), Claire Powell (Auntie), Carolyn Sampson (Première nièce), Valérie Condoluci (Deuxième nièce), Ian Caley (Bob Boles), Michael Druiett (Swallow), Della Jones (Mrs Sedley), Neil Jenkins (Rev. Horace Adams), Jason Howard (Ned Keene), Lynton Black (Hobson). | |
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