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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Création des Nègres de Michaël Levinas à l'Opéra national de Lyon.

En noir et blanc
© GĂ©rard Amsellem

Mais qu'est-ce donc qu'un Noir ? Et d'abord, c'est de quelle couleur ? Dès le lever de rideau, avec ce grand panneau portant cet exergue dont Genet flanqua ses Nègres et qui domine tout le plateau, on sait d'emblée que le nouvel opéra de Michaël Levinas sera question de couleurs, ou plutôt de deux couleurs : le noir et le blanc.
 

Opéra national, Lyon
Le 24/01/2004
Yutha TEP
 



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  • Si Genet utilise le terme de clownerie pour qualifier sa pièce, ici remaniĂ©e par Michael Levinas lui-mĂŞme, il convient de l'adopter avec toutes les prĂ©cautions nĂ©cessaires, le texte tendant vers un grotesque d'un pathĂ©tisme parfois sidĂ©rant. L'arrière-plan, c'est bien sĂ»r la colonisation et ses ravages, les Noirs se trouvant contaminĂ©s irrĂ©mĂ©diablement par les travers moraux des Blancs : la dĂ©nonciation atteint chez Genet une virulence rare, et les fulgurances verbales du texte ne vont pas sans poser de redoutables problèmes tant au metteur en scène qu'au compositeur.

    Stanislas Nordey se révèle justement plus scénographe que réellement metteur en scène – mais quelle plasticité, dans le décor, dans les costumes, dans les déplacements des personnages ! –, et si sa vision tend un peu à négliger la verdeur de la langue de Genet, du moins trace-t-elle un cheminement clair, dans le cadre d'un manichéisme progressivement brouillé puis démonté. Ainsi de la dialectique haut-bas : Blancs placés en hauteur pour pouvoir assister au spectacle donné par les Noirs en conservant une distance synonyme de supériorité. Ainsi aussi de la dialectique noir-blanc : le choix d'une distribution presque entièrement de couleurs – certains incarnant les Blancs sous un maquillage stylisé – ajoute un surcroît d'épaisseur, parti pris aussi judicieux que problématique, car la prononciation du français en souffre évidemment.



    Vocalement, si aucune personnalité ne se dégage réellement, la distribution est d'une homogénéité sans faille. Signalons cependant la prestation théâtrale époustouflante, en Diouf, du contre-ténor Fabrice di Falco, bousculé par les lignes que lui écrivent Levinas, de notes graves quasi-barytonales à des aigus les plus vigoureux en voix de tête.

    Devant ce livret difficile et remanié par ses propres soins, Michaël Levinas déploie une science impressionnante – électronique savamment distillée – unifiant le disparate des scènes et les complexes dialectiques de Genet (grotesque-sérieux, simulation-authenticité, théâtre-réalité). Rendons lui grâce, notamment, de savoir faire taire son instrumentarium lorsque le besoin s'en fait sentir, comme à l'acte III, dans un affrontement prenant entre Félicité – imposante Bonita Hayman – et la Reine – acrobatique Wendy Waller dans un rôle colorature difficile – sans pourtant renier à une violence indispensable. Ainsi, dès le premier tableau, un véritable mur sonore mêle rythmique sophistiquée et saturation des timbres instrumentaux comme électroniques.

    Ecartant toute tentative vaine de faire un sort à l'épineux problème du parler-chanter, l'écriture vocale vise plutôt d'épouser au plus près, non sans succès, les méandres de la langue de Genet, y compris dans ses propos les plus provocateurs. Il est d'autant plus dommage que Bernhard Kontarsky ne rende pas justice à la sophistication et à la transparence des combinaisons de timbres, et qu'il reste souvent en-deçà des fulgurances qu'appelait le livret.




    Opéra national, Lyon
    Le 24/01/2004
    Yutha TEP

    Création des Nègres de Michaël Levinas à l'Opéra national de Lyon.
    Michaël Levinas (*1949)
    Les Nègres
    Livret du compositeur d'après Jean Genet
    Création mondiale

    Technique Ircam
    Orchestre et choeur de l'Opéra de Lyon
    direction : Bernhard Kontarsky
    mise en scène : Stanislas Nordey
    décors : Emmanuel Clolus
    costumes : Raoul Fernandez
    éclairages : Stéphanie Daniel
    préparation des choeurs : Alan Woodbrige
    assistant musical IRCAM : Gilbert Nouno
    Ingénieur du son : Franck Rossi

    Avec :
    Herbert Perry (Archibald), Wendy Waller (La Reine), Bonita Hyman (Félicité), Lori Brown Mirabal (Bobo), Maureen Brathwaite (Vertu), Hans Voschezang (Village), Fabrice di Falco (Diouf), Tinuke Olafimihan (Neige), Marc Coles (le Missionnaire), Colenton Freeman (Le Valet), Brian Green (Le Juge), David Lee Brewer (Le Gouverneur), Jean-Richard Fleurençois (Ville de Saint-Nazaire).

     


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