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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de l'Elektra de Richard Strauss mise en scène par Nicolas Joel à la Halle aux Grains, Toulouse.
Phénoménale Elektra
Janice Baird (Elektra) et Karan Armstrong (Clytemnestre).
Formidable soirée d'opéra pour cette reprise de l'Elektra de Nicolas Joel à la Halle aux Grains de Toulouse, avec dans le rôle-titre l'incendiaire Janice Baird, qui semble être le grand soprano dramatique qui manquait à la scène lyrique depuis le retrait des immenses Varnay, Nilsson et Rysanek.
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Le choc est absolu, la découverte aussi enthousiasmante que déroutante. On avait déjà cru comprendre qu'une magnifique Brünnhilde officiait à Toulouse la saison passée, comme l'avait souligné Gérard Mannoni. Et pour cause, l'époustouflante Janice Baird, peu connue dans le grand circuit, semble être le grand soprano dramatique qui faisait défaut à la scène lyrique depuis des années ; on se demande comment des scènes comme Bayreuth, qui semble s'accommoder de la belle mais vocalement exécrable Brünnhilde d'Evelyn Herlitzius, peuvent laisser de telles voix faire une carrière underground.
Formée à bonne école par Birgit Nilsson et Astrid Varnay, se riant d'un rôle inhumain entre tous en terminant la soirée plus fraîche qu'elle ne l'avait commencée, Janice Baird, saluée par des tonnerres d'applaudissements, est la révélation de cette Elektra toulousaine. Le timbre, assez sombre, est toujours accroché, la projection phénoménale, le soutien en béton, le souffle intarissable. On ne peut vraiment pas en dire autant des grandes titulaires du rôle, les Behrens, DeVol, Polaski, Behle, Schnaut et consort.
Après un premier monologue un rien prudent, aux aigus légèrement bas de plafond, la soprano décolle dans son affrontement avec Clytemnestre, lui assénant des aigus comme autant de javelots qui passeraient le plus déchaîné des orchestres. Sans jamais manquer d'autorité – un Sei verflucht ! lancé à Chrysothémis à vous clouer au fauteuil ; un Schweigen und tanzen conclu, comme celui de Varnay, par un si aigu surpuissant – Baird maîtrise parfaitement le cantabile – une Reconnaissance d'Oreste à pleurer, bouleversante d'humanité comme de beauté des sons filés.
De surcroît, loin des « gros sopranos dramatiques » du moment, l'Américaine possède une plastique irréprochable ainsi qu'une vraie stature de tragédienne, une présence à la Waltraud Meier, et fait de son Elektra à la lucidité troublante une tigresse dans la lignée de Christel Goltz, érotique et sensuelle dans sa danse au-dessus du gisant d'Agamemnon.
Le reste du plateau est également d'une solidité à toute épreuve : belle Chrysothémis de Tina Kiberg, au timbre clair et lumineux ; impressionnante Clytemnestre de Karan Armstrong, tout en voix de poitrine et en Sprechgesang maniaco-dépressif ; Oreste au timbre de bronze de l'Espagnol Angel Odena, et parfait Égisthe d'Alan Woodrow.
Quant à l'orchestre, protagoniste numéro un de cette « folle journée » chez les Atrides, il écrase tout sur son passage, sous la battue monolithique de Gabor Ötvos, qui gagne le podium aussi serein que s'il allait diriger Les Noces, mais déclenche des cataclysmes dans la fosse ouverte de la halle aux grains. La direction du chef germano-hongrois, au tempo toujours modéré, l'emporte sur tous les fronts : massivité dans l'introduction, urgence insoutenable dans le cortège de Clytemnestre, sinistre beauté et calme absolu des cuivres accompagnant Oreste, magnifique lyrisme des cordes dans la Reconnaissance, trépignements forcenés dans la danse d'Elektra, jusque dans une conclusion absolument titanesque.
Et l'Orchestre du Capitole est un modèle, délivrant au milieu de déflagrations tout à fait appropriées – un timbalier survolté – de remarquables couleurs – superbes tubas wagnériens – et des textures transparentes – une petite harmonie lumineuse et fine.
A un tel niveau musical, la mise en scène de Nicolas Joël fait un peu figure de simple illustration visuelle d'un drame joué dans la fosse et dans les gosiers des protagonistes, mais est toujours menée avec professionnalisme. Dramatiquement un peu faible dans les déplacements et les scènes d'agitation, elle ose quelques originalités : Clytemnestre en vieille folle qui s'enfile sa dose de pinard cul-sec au milieu d'une cour orgiaque, Egisthe en bourgmestre américain ridicule, haut-de-forme et banderole sous la veste à l'appui. Quant aux décors futuristes et écrasants d'Hubert Monloup, il faut bien reconnaître qu'ils font leur effet.
Une production lourde d'enseignement sur les choix artistiques des grandes maisons d'opéra : alors que Toulouse propose la géniale Elektra de Janice Baird, la saison prochaine, Paris n'aura rien d'autre à offrir que l'impossible Deborah Polaski.
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Halle aux Grains, Toulouse Le 25/03/2004 Yannick MILLON |
| Reprise de l'Elektra de Richard Strauss mise en scène par Nicolas Joel à la Halle aux Grains, Toulouse. | Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, tragédie en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Choeur du Capitole
Orchestre du Capitole de Toulouse
direction : Gabor Ötvös
mise en scène : Nicolas Joel
décors et costumes : Hubert Monloup
Ă©clairages : Vincio Cheli
préparation des choeurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Karan Armstrong (Clytemnestre), Janice Baird (Elektra), Tina Kiberg (Chrysothémis), Angel Odena (Oreste), Alan Woodrow (Égisthe), Scott Wilde (le précepteur d'Oreste), Catherine Alcoverro (La confidente), Zena Baker (La porteuse de traîne / une servante), Gilles Ragon (Un jeune serviteur), Thierry Vincent (Un vieux serviteur), Anna Steiger (La surveillante), Valérie Marestin (Première servante), Cornelia Entling (Deuxième servante), Barbara Heising (Troisième servante), Cécile Galois (Quatrième servante), Cécile de Boever (Cinquième servante). | |
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