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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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9e symphonie de Mahler par l'Orchestre philharmonique de Vienne et Bernard Haitink au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Bouleversante expérience mahlérienne
9e symphonie de Mahler par l'Orchestre philharmonique de Vienne et Haitink. Une affiche de rêve pour les Parisiens en cette fin avril. Après une décevante 2e symphonie par le Philharmonia et Salonen au Châtelet, les Viennois et Haitink allaient-ils mieux négocier la 9e au TCE ? La réponse est oui, trois fois oui.
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Après Vienne, Amsterdam et Londres, Paris était la dernière destination de cette tournée européenne des Wiener Philharmoniker dédiée à la seule 9e de Mahler, et d'aucuns auront pu sentir les Viennois, un rien fatigués, lutter avec plus de peine que de coutume contre l'acoustique mate du TCE en redoublant de longueur d'archet et en exagérant le legato dans les vents pour donner à la matière symphonique mahlérienne sa juste sonorité. On comprend du coup mieux ce que voulait dire Haitink en opposant la masculinité du Philharmonique de Berlin, massif et imperturbable, à la féminité du Philharmonique de Vienne, plus raffiné et esthète, mais aussi plus fragile et capricieux. Point de « perfection surhumaine » ce soir, mais un périple musical purement humain.
D'emblée, on sent que Haitink domine parfaitement la grande arche du premier mouvement, si difficile à tenir, et abordée ici avec un art des transitions confondant. Le chef néerlandais renforce très tôt le côté menaçant et noir de l'appel heurté, syncopé et quasi spasmodique des cuivres qui inonde tout ce premier mouvement, ce pressentiment d'une mort approchante qu'y voyait Berg, prenant ici une importance capitale : cuivres bouchés très en relief, mise en valeur du glas des trois trombones. On notera quelques hésitations dans les bois, et des timbales trop timorées dans un climax pourtant impressionnant, mais les cordes et les cuivres sont déjà d'une brûlante beauté, et le discours impeccablement mené.
L'ironie grinçante des mouvements centraux
Le Scherzo sera le moment le plus problématique de cette remarquable exécution. Les seconds violons se font idéalement rustiques, en martelant lourdement la pulsation comme l'indique Mahler (Schwerfällig) mais le tempo de base semble trop lent, si bien que le véritable Ländler (Tempo III, ganz langsam), encore plus lent que le Tempo I conformément au souhait du compositeur, finit par s'enliser. De surcroît, si les cuivres et les cordes sont admirablement acérés, les bois manquent encore souvent d'éclat et de verdeur – les hautbois surtout – et les timbales de franchise de frappe.
L'ironie grinçante qui faisait parfois défaut au Scherzo prend un relief saisissant dans le Rondo burleske, chef-d'oeuvre absolu de contrepoint, où un fugato presque ininterrompu entraîne une urgence qui prend sous la baguette de Haitink un aspect vertigineux, et dont le côté « concerto pour orchestre » sied comme un gant à la virtuosité individuelle des Viennois. Dans la partie centrale, rassérénée, la trompette du jeune Gotthard Eder sonne avec toute la fraîcheur et la naïveté d'un souvenir d'enfance consolateur, véritable baume apaisant.
Sublime Adagio final
Arrive alors l'Adagio final, avec son lot d'interrogations, ses confidences déchirantes ; arrive aussi le sommet de cette exécution. Haitink, dans une lecture apollinienne à la battue stable et au tempo relativement modéré, n'en rajoute jamais dans le pathos et bénéficie d'un Philharmonique de Vienne irréprochable, particulièrement de cordes absolument éblouissantes. Cette manière de rentrer dans le son, de fusionner les timbres, de donner une tonne de densité à l'archet, avec un son d'un soyeux et d'une brillance inouïs, laisse pantois. Admirables aussi, l'instantanéité des changements de climat – ombre et interrogation soudaines des épisodes à basson solo –, les interventions cosmiques des cors, les pianissimi impalpables.
Dans un Adagissimo terminal raréfié, aux confins du silence et vraiment ersterbend, d'une absolue sérénité, les quintes des violoncelles, posées avec une infinie délicatesse, sonnent comme la promesse d'une réconciliation possible avec le monde. On retient encore son souffle pendant le long silence imposé par Haitink. « C'est sublime ! » lâche à mi-voix un spectateur du parterre visiblement au bord de la défaillance, porte-parole improvisé d'un public bouleversé par une telle expérience mahlérienne.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 29/04/2004 Yannick MILLON |
| 9e symphonie de Mahler par l'Orchestre philharmonique de Vienne et Bernard Haitink au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n°9 en ré majeur
Orchestre philharmonique de Vienne
direction : Bernard Haitink | |
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