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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Lucia di Lamermoor de Donizetti dans la mise en scène de Filippo Sanjust au Deutsche Oper de Berlin.
Lucia sauve la mise
On l'attendait avec impatience : Lucia est apparue sur scène plus fragile et envoûtante que jamais. Pour l'incarner, la grande Gruberova, dans un rôle qu'elle connaît bien et qu'elle développe avec le talent de l'expérience et le goût pour l'ambiguïté. Une Lucia qui a elle seule réussira à sauver la mise.
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Avec ses trois maisons d'opéra, Berlin demeure un des rendez-vous obligés des aficionados du lyrique. Eclectisme, qualité de la programmation : une rivalité naturelle dynamise les trois opéras au public varié et nombreux. On attendait avec une impatience gourmande la prestation de la diva slovène Edita Gruberova mais aussi celle du ténor mexicain non moins star Ramon Vargas. Et en gourmet, il faut avouer que l'on a été comblé !
Certes, l'opéra de répertoire, ici comme ailleurs, lasse un peu par des mises en scène désuètes, laissant par voie de conséquence le spectateur sur sa faim, comme c'est le cas de cette soirée pour Lucia : costumes à la Blanche Neige, modestes panneaux peints en stuc. Il est quand même regrettable de bénéficier de telles voix dans des décors dignes de petits théâtres de province.
Mais revenons à la musique. Celle de Donizetti n'offre pas le plus étourdissant bel canto du répertoire. Ses héroïnes, de Lucia à Lucrèce Borgia en passant par Marie Stuart, demeurent pourtant pour la majorité d'entre elles de véridiques écorchées vives, sulfureuses, passionnées et retorses, dont le poison et le charisme nécessitent chez la chanteuse qui les interprète virtuosité, présence scénique, et enfin une certaine prise de risque émotionnelle. Le rôle de Lucia tout particulièrement : sombre héroïne, amoureuse à en mourir, aux accents shakespeariens indéniables, elle pourrait constituer l'un des Douze Travaux d'une chanteuse herculéenne.
Fût-ce dans la célèbre aria Regnava ne silenzio ou dans l'extraordinaire Alfin son tua, où Lucia, par péché d'amour, sombre dans la folie, Gruberova incarne son personnage avec cette distance énigmatique et douloureuse, comme perdue, le portant à bout de bras vers ce destin morbide marqué du sceau de la tragédie. Quelques imperfections techniques – qu'on pardonnera à Gruberova, après plus de trente ans d'une carrière éclatante – n'entament en rien le bonheur du spectateur à l'écoute de cette voix qui électrise, charme, et envoûte.
Face à elle, l'impeccable Ramon Vargas campe un Edgardo très expressif, merveilleux comédien saisissant le caractère tragique des forces obscures jouant en la défaveur de son amour pour Lucia. Gageons que l'on retrouvera avec autant de plaisir, Ramon Vargas au Staatsoper cette fois-ci, dans un récital d'une part, d'autre part dans le rôle-titre du Don Carlo. Autre figure intéressante de cette production, le frère de Lucia, Enrico, qu'interprète le jeune baryton Boaz Daniel. La direction honorable de Stefano Ranzani permet à l'orchestre du Deutsche Oper d'engager un dialogue intéressant avec les différents protagonistes.
Mais l'héroïne de la soirée reste bien la grande Gruberova, comme toujours capable à elle seule de sauver la mise (en scène).
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