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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert de l'Orchestre de Philadelphie sous la direction de Christoph Eschenbach au théâtre Mogador, Paris.
Bruckner et les intégristes
Assez rare sous nos latitudes, l'Orchestre de Philadelphie est de ces formations qui font encore rêver par la légende attachée à des noms comme Stokowski ou Ormandy. Ce soir à Mogador, les Américains et Christoph Eschenbach auront été à la hauteur des espérances, notamment dans une magnifique 7e de Bruckner pourtant conspuée par une fanatique de Celibidache.
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Le concert débute sous les meilleurs auspices avec une ouverture de Fidelio roborative et musclée, dans laquelle Eschenbach montre une fois de plus son affinité avec la rythmique frondeuse de Beethov, y compris dans une robuste coda digne de Toscanini. L'orchestre de Philadelphie fait d'emblée étal de ses belles qualités : tapis de cordes somptueux, cuivres vigoureux, capacité d'écoute étonnante. Le Philadelphia n'a peut-être pas l'excellence absolue de Cleveland, Boston ou Chicago – cors parfois incertains, bois parfois ternes – mais qu'on aimerait en France disposer de pareille Roll's symphonique !
Un saut d'un bon siècle nous transporte dans les hautes sphères des Offrandes oubliées de Messiaen, dont l'orchestre saisit idéalement l'atmosphère éthérée et suspendue du volet introductif La Croix, comme celle, âpre et furieuse, du volet central Le Péché. La partie conclusive, l'Eucharistie, est l'occasion de se délecter, dans une luminosité recueillie, des sonorités généreuses des neuf instruments à cordes solistes.
Après la pause, retour un demi-siècle plus tôt avec la 7e symphonie de Bruckner. Dès le premier trémolo de cordes, Eschenbach impose une gestion du temps dans le sillage de Celibidache, où la contemplation et la plastique instrumentale l'emportent, privilégiant des tempi lents – sans jamais aller jusqu'au lentissime de certains passages de sa 4e symphonie ou au tempo presque arrêté du chef roumain – et l'élévation d'une première phrase des violoncelles en une arche immense, quasi infinie, dont la longueur et la hauteur de vue donnent presque le vertige. Pour autant, ce Bruckner ne manque jamais de vigueur, comme le prouve un fulgurant crescendo final, avec une montée en puissance tenue sans la moindre accélération.
Adagio bouleversant d'humanité
La petite demi-heure du mouvement lent qui suit offre des couleurs orchestrales à se pâmer : violoncelles déchirants dans le second thème, cordes diaphanes, tubas wagnériens absolument magiques dans la déploration sur la mort de Wagner qui suit le climax. Moment bouleversant d'humanité, d'élévation spirituelle, s'apaisant dans une sérénité salutaire avec des cuivres tout d'aisance, de justesse et d'équilibre.
A l'inverse de tant de chefs qui s'abîment après l'Adagio, Eschenbach négocie au mieux le Scherzo, dont il transcende le caractère éminemment rythmique, et le Finale, déjouant les pièges d'une écriture répétitive et souvent en bloc – enchaînements parfaitements fondus. Avec force ingéniosité et le concours d'un rang de cuivres éblouissant, parfaitement adapté à la majesté et la tension immense des péroraisons brucknériennes, il mène la coda à une exultation triomphale.
Une magnifique exécution, un peu gâchée par les huées forcenées d'une auditrice surexcitée ne jurant que par Celibidache. Et pourtant aujourd'hui, qui plus que Christoph Eschenbach se rapproche de cette optique interprétative – poigne et éclat en plus ? Mais preuve est faite que les intégristes sont partout, même dans le domaine de l'interprétation brucknérienne, dont le gourou roumano-munichois avait paraît-il la science infuse. Et dans son petit écart à la parole divine, Eschenbach a sans doute eu de la chance de n'être que sifflé, car peut-être trouverons-nous quelque « celibidacho-maniaque » cagoulé et armé d'une kalachnikov devant le Musikverein de Vienne pour la 5e symphonie par l'hérétique Harnoncourt le mois prochain !
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Théâtre Mogador, Paris Le 13/05/2004 Yannick MILLON |
| Concert de l'Orchestre de Philadelphie sous la direction de Christoph Eschenbach au théâtre Mogador, Paris. | Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Fidelio, ouverture en mi majeur, op. 72 (1814)
Olivier Messiaen (1908-1992)
Les Offrandes oubliées, méditation symphonique (1930)
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n°7 en mi majeur (1883)
Version Nowak
Philadelphia Orchestra
direction : Christoph Eschenbach | |
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