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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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5e symphonie de Bruckner par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Nikolaus Harnoncourt à la Salle dorée du Musikverein, Vienne.
Bruckner au firmament
Dans le cadre un peu triste des fins de saisons musicales, les Wiener Philharmoniker proposaient leur ultime concert d'abonnement pour la saison 2003-2004 au Musikverein de Vienne, la très attendue 5e symphonie de Bruckner par Harnoncourt, qui poursuit avec le même triomphe son exploration du plus imposant corpus symphonique du XIXe siècle.
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Harnoncourt n'en est plus à ses premiers essais brucknériens. Ses enregistrements discographiques témoignent tous d'une approche interprétative révolutionnaire, particulièrement les 7e et 9e symphonies avec le Philharmonique de Vienne. Et la 5e présentée en ce mois de juin 2004 promet d'être un témoignage brucknérien tout aussi indispensable une fois parue en CD dans les mois à venir.
A l'instar de Celibidache, mais avec des moyens et un propos opposés, le Bruckner d'Harnoncourt est concentré à l'extrême, jouant le jeu d'une architecture imposante, dénué de tout sentimentalisme. En somme un Bruckner de pénitent, sobre et efficace, qui refuse les tics accumulés par plusieurs générations d'interprètes. Pour cette 5e, le chef autrichien utilise l'édition Nowak, agrémentée des dernières trouvailles dues à la redécouverte du manuscrit que Bruckner avait destiné à sa maison d'édition. On notera quelques différences dans les points d'orgue du Scherzo et la toute fin de l'Adagio, beaucoup plus suspendue que de coutume, avec une dernière phrase de flûte et clarinette plus longue et moins conclusive.
Depuis la pulsation imperturbable des pizz de violoncelles et contrebasses jusqu'à la péroraison grandiose de la coda, Harnoncourt construit son premier mouvement brique par brique, avec un art des transitions et un naturel confondants. Aidé par l'acoustique miraculeuse de la salle dorée du Musikverein, il laisse les sonorités s'épanouir, et son tempo giusto donne une régularité bienvenue, trouvant dans la réverbération idéale de la salle le liant nécessaire à la continuité dramatique, sans pour autant perdre le côté abrupt de certaines cassures. Les tutti bénéficient des timbales survoltées d'Anton Mittermayr, au relief saisissant, réalisant de surcroît toutes les terminaisons de roulement indiquées mais si rarement audibles. L'Adagio, malgré l'indication Sehr langsam, privilégie toujours l'avancée (mais Bruckner indique 2/2, et non 4/4) et l'ambiguïté entre binaire et ternaire des jeux rythmiques, et s'avère magnifiquement tenu, chantant sans excès, avec un second thème des cordes bouleversant de simplicité et de beauté de son. Le Scherzo, comme toujours chez le chef autrichien, est très rapide et explosif, ménageant une rusticité opportune au deuxième motif et une bonhommie toute pastorale au Trio.
Dans le Finale, l'attaque de la fugue par les contrebasses, grondantes et impassibles, est phrasée avec une géniale réflexion sur les accents et désinences. Le grand choral, élément fondamental du dernier mouvement, est énoncé de manière franche et directe, sans emphase, seulement avec la majesté infinie d'un rang de cuivres à la sonorité d'orgue, rond et brillant à la fois, à la densité sonore renforcée par une intonation infaillible. Dans le passage central de la fugue – que Bruckner avait d'ailleurs autorisé à couper s'il posait trop de problèmes aux interprètes – on a l'impression de redécouvrir complètement une structure polyphonique et des lignes si souvent noyées. La trame contrapuntique pour le moins complexe est alors éclairée d'une lumière inédite et jamais on ne perd pied dans le cheminement harmonique. Vient ensuite une coda démentielle, qu'on sent venir de très loin, arc-boutée et tendue à rompre. La salle, comme soufflée par l'ampleur cosmique de cette conclusion tellurique de plus de soixante-dix mesures indiquée « sempre fff » (qui sous Harnoncourt ne faiblit à aucun moment d'intensité), retient son souffle après le dernier accord et laisse enfin éclater des tonnerres d'applaudissements pendant un bon quart d'heure, et alors que l'orchestre a quitté la scène, devant la ténacité des spectateurs, Harnoncourt revient saluer seul, humblement, puis quitte la salle avec la même simplicité qu'il l'avait gagnée.
Les Wiener Philharmoniker n'avaient jamais donné la 5e symphonie du vivant du compositeur, qui est mort sans avoir entendu son « chef-d'oeuvre du contrepoint ». Quel plus bel hommage que cette exécution inoubliable ?
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GroĂźer Musikvereinsaal, Wien Le 12/06/2004 Yannick MILLON |
| 5e symphonie de Bruckner par l'Orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Nikolaus Harnoncourt à la Salle dorée du Musikverein, Vienne. | 10e concert d'abonnement de l'Orchestre Philharmonique de Vienne
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie n°5 en si bémol majeur, WAB 105
Edition Nowak (+ Revisionsbericht)
Wiener Philharmoniker
direction : Nikolaus Harnoncourt | |
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