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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Récital d'Alfred Brendel au Théâtre du Châtelet, Paris.
L'audace de l'équilibre
Sur la scène noire, l'éclairage se concentre sur le piano et en projette des ombres discrètes sur le rideau, noir lui aussi. Alfred Brendel, à peine courbé par ses 73 ans, offre au public parisien des interprétations exemplaires de pièces pourtant assez peu séductrices de Mozart, Schubert et Beethoven.
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« Je suis quelqu'un qui suis à la lettre les indications de la partition, mais pas de manière servile ni photographique ». Ces propos recueillis à Munich le 14 mai dernier à l'occasion de la remise du prix Ernst von Siemens à Alfred Brendel résument l'art et la philosophie de ce maître du clavier. Le programme est extrait du répertoire de prédilection du pianiste allemand, dans lequel il excelle. Alors, peu importent les pièces choisies, guère parmi les plus célèbres des compositeurs de ce soir. Brendel ne cherchait donc pas à séduire ou à plaire, il a dépassé ce stade depuis longtemps. D'ailleurs, ce n'est pas tant ce qu'il joue qui frappe, mais bien plutôt sa manière d'aborder ce qu'il joue.
Peut-être même a-t-il choisi les oeuvres qui sont souvent négligées par ses pairs, mais que son talent réussit à anoblir. Calme mais physique, souvent très proche du clavier, le corps sans cesse dans la mouvance des notes, il jubile de dissonances qui en deviennent surprenantes chez ces grands classiques du pianoforte.
Ce concert devrait être comme un livre à relire quand on en arrive à la fin. Car ainsi, l'équilibre parfait de la programmation apparaît. Mozart et sa Fantaisie aussi simple et complexe démontre tout l'attachement du compositeur à Bach et annonce un Schubert tout aussi friand de frottements harmoniques, très théâtral, oserait-on dire pré-wagnérien. Les Klavierstücke de Schubert s'enchaînent ensuite et se racontent comme les numéros d'un cycle de Lieder. Et quand un éternuement très peu discret vient interrompre une berceuse, le pianiste se tourne vers le trouble-fête et attend ce qui paraît être un moment très menaçant pour la suite du concert. Mais tout va bien quand Brendel décide de reprendre et de finir la trilogie avec une farandole saluée d'une pirouette.
Pour finir, Beethoven. Ni trop rapide ni trop lente dans son introduction, la 30e sonate se construit devant nos yeux. Et c'est une véritable biographie que l'on écoute, un récit dont la fluidité trompeuse du premier mouvement se déchaîne petit à petit. Sous les doigts de l'interprète, les trilles obsessionnels semblent vouloir arrêter le temps. Un amour de la vie se dégage et se développe avec la violence d'une tempête, puis s'arrête. Et c'est déjà la fin du récital !
Y a-t-il une maturité requise pour écouter ou jouer un tel programme? Peut-être. C'est sans doute pour cela que Brendel a choisi le 3e impromptu de Schubert en bis, retour à un classique du répertoire, rassurant et serein comme une promesse de revenir. Et même si les oeuvres choisies ce soir n'ont pas été parmi les plus séductrices, le sentiment émanant d'un tel récital est celui de la beauté et de l'équilibre.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 15/06/2004 Eugénie ALECIAN |
| Récital d'Alfred Brendel au Théâtre du Châtelet, Paris. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Fantaisie K. 396
Sonates K. 281 et K. 282
Franz Schubert (1797-1828)
Drei Klavierstücke D. 946
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano n°30 op.109
Alfred Brendel, piano | |
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