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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Die Tote Stadt de Korngold mise en scène par Willy Decker et sous la direction de Donald Runnicles au festival de Salzbourg 2004.
Salzbourg 2004 (6) :
Mais oui ce n'est qu'un rĂŞve
Torsten Kerl (Paul).
Réhabiliter les opéras de compositeurs que le IIIe Reich avait qualifié de « dégénérés » ; telle est l'une des lignes directrices du mandat du directeur de Salzbourg Peter Ruzicka. Cet été, le festival s'attaque au plus célèbre opéra de l'Entartete Musik, la Ville morte de Korngold, dans une nouvelle production de Willy Decker à marquer d'une pierre blanche.
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Willy Decker fait partie de ces metteurs en scène qui déçoivent très rarement, et force est de constater qu'au milieu des délires d'iconoclastes à tout crin, le metteur en scène allemand délivre toujours un travail intelligent, soigné, sans scorie.
Dans la nouvelle Ville morte de Salzbourg, on sera dans un premier temps étonné de la salubrité de son décor, sec et capitonné, loin de l'humidité mortifère qu'on imagine flotter dans la chambre de la défunte Marie. Petit sanctuaire discret parsemé de roses rouges sur le sol, aux murs noirs couverts de l'inscription Unsere Liebe war, ist, und wird sein – notre amour a été, est, et sera –, la chambre de Marie traduit bien l'incapacité de Paul à sortir de l'enfermement dans lequel il s'est muré suite au décès de sa femme.
Si au départ, la scénographie qui ne laisse rien dans l'ombre rend bien l'éveil du héros, le mur du fond progressivement éclairé en bleu nuit à l'arrivée de Marietta commence à trahir un changement de climat. Et plutôt que de nous faire prendre des vessies pour des lanternes, Decker dévoile dès la fin du premier acte l'endormissement du héros.
En faisant comprendre au spectateur que toute l'action à partir de ce moment-là n'est qu'un rêve, il le prive du coup de théâtre final, mais qu'importe, tant son choix est négocié et assumé avec habileté. Alors que Paul dort sur son fauteuil, le mur du fond qui n'était qu'un tulle laisse apercevoir un miroir flou de la scène de devant, avec l'apparition de Marie et le double de Paul.
Les éclairages, les couleurs et les ambiances traduisent alors à merveille le monde du songe, à la fois rassurant et inquiétant, et l'on passe directement au deuxième acte – avec la coupure du prélude et l'enchaînement permis par l'auteur – où chaque vision impressionne un peu plus que la précédente : la chambre qui s'ouvre et se sépare en plusieurs morceaux ; l'apparition de Franck, à califourchon sur le toit d'une maison bleue mobile ; le passage des béguines toutes de blanc vêtues, le visage blafard, portant une Brigitta crucifiée ; le sadisme des compagnons de Marietta, qui maquillent d'une tête de mort le portrait de la défunte, et mettent à Paul le masque de Pierrot, qui finit le deuxième acte tel Paillasse.
Et l'omniprésence du portrait de Marie rappelle souvent le magnifique travail de Decker sur Lulu à Paris, mais aussi de Mussbach dans le même Kleines Festspielhaus pendant l'ère Mortier.
Torsten Kerl a l'étoffe du rôle de Paul, son mélange d'aliénation et de tendresse, d'accès de colère et d'abattement, même s'il n'a rien d'une bête de scène. La voix est puissante, le format large, les intentions musicales fines, mais le timbre paraît souvent ingrat et l'émission serrée. Le ténor allemand n'a à l'évidence pas le médium blindé du Heldentenor qu'il prétend devenir.
Un passage difficile, un aigu trop poussé, qui sature dans le crescendo, un vibrato qui serre ne laissent rien présager de bon pour l'avenir, d'autant que la demi-teinte finit déjà souvent par craquer. Preuve si besoin était de la pénurie de gosiers capables de négocier pareilles lignes vocales meurtrières, malgré toutes ces réserves – mais n'en avait-on pas autant sur Kollo à son époque ? –, Kerl semble à l'heure actuelle le grand titulaire du rôle.
En Marietta, Angela Denoke offre toujours le même mélange de suprême musicalité et de technique chaotique. Alternant sublimes piani dans l'aigu – le Lied au I, ductile – et sons complètement détimbrés à l'intonation souvent trop basse, la soprano reste bouleversante, en dépit d'un vibrato qui commence à bâiller, trahissant une fréquentation excessive de rôles trop lourds.
Mais là encore, on ne connaît pas mieux, d'autant que la prestation en scène, mettant l'accent sur le côté garce du personnage, est absolument remarquable. Bo Skovhus, qui se paie le luxe de deux rôles, est le genre de petit plus qui donne un cachet inimitable aux distributions salzbourgeoises.
Même si l'acoustique très mate du Kleines Festspielhaus – dont on ne regrettera pas un instant la fermeture jusqu'à l'été 2006 pour des travaux de rénovation – rend certains passages de la partition d'orchestre assommants ou certaines sonorités écharpées, dans la fosse, Donald Runnicles joue la carte de la luxuriance, du foisonnement de couleurs et de climats, dans une lecture aux arêtes vives, décapante et rapide, qui sert à merveille l'œuvre la plus célèbre du compositeur autrichien.
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Kleines Festspielhaus, Salzburg Le 24/08/2004 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Die Tote Stadt de Korngold mise en scène par Willy Decker et sous la direction de Donald Runnicles au festival de Salzbourg 2004. | Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Die Tote Stadt, opéra en trois tableaux, op. 12 (1920)
Livret de Paul Schott d'après le drame le Mirage et le roman Bruges-la-morte de Georges Rodenbach
Coproduction avec l'Opéra de Vienne, l'Opéra néerlandais d'Amsterdam et le Gran Teatre Liceu de Barcelone
Association de Concert du Chœur de l'Opéra de Vienne
Chœur d'enfants de Salzbourg
Orchestre du Mozarteum de Salzbourg (musique de scène)
Orchestre philharmonique de Vienne
direction : Donald Runnicles
mise en scène : Willy Decker
décors et costumes : Wolfgang Gussmann
éclairages : Wolfgang Göbbel
préparation des chœurs : Rupert Huber & Helmut Zeilner
Avec :
Torsten Kerl (Paul), Angela Denoke (Marietta, l'apparition de Marie), Bo Skovhus (Frank, Fritz), Daniela Denschlag (Brigitta), Simina Ivan (Juliette), Stella Grigorian (Lucienne), Lukas Gaudernak (Gaston), Eberhard Francesco Lorenz (Victorin), Michael Roider (le Comte Albert). | |
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