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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Winterreise de Schubert par Thomas Quasthoff et Wolfram Rieger au Théâtre du Châtelet, Paris, dans le cadre de Piano****.

Voyage au bout de la solitude
© Káss Kara

L'un des plus hauts sommets de la musique vocale occidentale, le Voyage d'hiver de Schubert, est toujours un moment profondément bouleversant. Mais quand Piano**** programme Thomas Quasthoff et Wolfram Rieger, le cycle en devient une expérience humaine inoubliable, un voyage au bout de la solitude. Tout simplement sublime.
 

Théatre du Châtelet, Paris
Le 06/10/2004
Yannick MILLON
 



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  • La tentation est grande de chercher dans le Winterreise une gravitĂ© sĂ©pulcrale, un dĂ©sespoir patent et sans remède, l'oeuvre crĂ©pusculaire d'un compositeur tourmentĂ© qui ne croit plus Ă  l'amour et au bonheur. Les barytons-basses se sont depuis longtemps appropriĂ© un cycle destinĂ© Ă  l'origine Ă  la voix de tĂ©nor. DĂ©tail d'importance cependant : la Sehnsucht schubertienne est celle d'un coeur jeune, exactement comme dans la Schöne MĂĽllerin, maturitĂ© et sĂ©cheresse en plus. La rencontre, la curiositĂ©, l'espoir, l'amour, l'enthousiasme de se croire aimĂ©, le hĂ©ros du Voyage d'hiver les a aussi expĂ©rimentĂ©s.

    Pour les ténors, le risque est de sombrer dans la mièvrerie ou l'artifice ; pour les basses, de tirer le Winterreise vers le désespoir trop vieux, trop installé, trop grave du romantisme plus tardif des Vier ernste Gesänge de Brahms. C'est en effet tout le sublime de la musique de Schubert que la douleur y est vécue avec jeunesse, de tout coeur, sans distance, sans expérience, sans une maturité qui pourrait la faire relativiser ; avec innocence.

    Par bonheur, Thomas Quasthoff est de ces artistes intelligents et inspirés dont le goût sûr atteint toujours à la révélation. Avec un vrai dépouillement, une finesse littéraire jamais surfaite, une santé vocale étonnante – malgré un haut-médium difficile à alléger dans les piano – mais toujours au service de l'émotion et jamais gratuite, il délivre le message désespéré et lucide d'un homme qui se sait étranger au monde. Jamais monolithique, d'une douleur rentrée, sans toutefois craindre de dévoiler ici ou là sa fragilité, osant des nuances périlleuses parfois fantomatiques, des éclats de colère blessée, il captive par un art consommé de faire oublier ses moyens, ses limites, ses réussites, ses éventuelles maladresses, au profit de l'histoire qu'il nous raconte. Là où un Bostridge construit artifice après artifice un univers quasi expressionniste bien difficile à défendre, un Quasthoff sait miraculeusement faire oublier qu'il chante.

    Aux confins de l'immobilité et du silence

    Wolfram Rieger est un partenaire idéal, inventif, audacieux, risquant l'imperceptible, le disloqué, l'aride, délivrant dans les sublimes Lieder en majeur des chansons légères comme des bulles de savon, souvenirs lointains de moments heureux à jamais perdus, contrastant avec des paysages affreusement glacés et désertiques. Souvent aux confins de l'immobilité, du silence, son jeu subtil soutient admirablement la narration intense de Quasthoff, et l'ensemble fonctionne à merveille grâce à une éblouissante construction de l'interprétation du cycle, tout entier traversé par une arche perceptible à chaque instant.

    On ne sort pas indemne d'une interprétation comme celle-ci. Si le cycle commence plutôt mal – un Gute Nacht où baryton comme pianiste, à la limite de la neutralité, se cherchent –, les points d'arrêts et les silences lourds de sens de Der Lindenbaum, la délicatesse infinie de Frühlingstraum sont d'une intimité à la limite du soutenable, tandis que Die Krähe suit un parcours douloureux qui atteint en son milieu la pure hallucination. Mais c'est bien Das Wirtshaus le point culminant du cycle, chuchoté comme dans un rêve, d'une beauté à couper le souffle, d'une lenteur absolue, presque hors du temps. La dernière reprise forte, d'une sonorité pleine, presque écrasante, semble alors dire que tout est changé, définitivement. La lucidité grinçante de Mut, qu'avait déjà amorcée Die Post, le dernier attendrissement de Die Nebensonnen, enfin la rencontre avec le Leiermann exclu, que personne ne remarque, tout indique que la métamorphose est achevée : Ich bin der Welt abhanden gekommen n'est pas si loin.




    Théatre du Châtelet, Paris
    Le 06/10/2004
    Yannick MILLON

    Winterreise de Schubert par Thomas Quasthoff et Wolfram Rieger au Théâtre du Châtelet, Paris, dans le cadre de Piano****.
    Franz Schubert (1797-1828)
    Winterreise (Voyage d'hiver) (1827)
    Cycle de 24 Lieder sur des poèmes de Wilhelm Müller, D. 911

    Thomas Quasthoff, baryton
    Wolfram Rieger, piano

     


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