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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 novembre 2024 |
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Récital d'Anne-Sofie von Otter accompagnée par Bengt Forsberg au Théâtre du Châtelet, Paris.
Troubadour des temps modernes
Avec toujours un même goût pour l'éloquente clarté, Anne Sofie von Otter sait tout faire. Bête de scène inespérée, elle est récitaliste sans apprêt ni pose. Ballades ou mélodies, Lieder et songs, l'éclectisme du programme n'est que façade, animé du doux instinct du populaire. De Schubert à Weill, et jusqu'au plus inattendu !
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
[ Tous les concerts ]
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La voix d'Anne Sofie von Otter n'a sans doute plus tout à fait le même velours, mais le charme discret du timbre, aussi diffus que profond, opère toujours. Et la technique est magistrale, seconde peau, qui permet tout, de la confidence quasi parlando, susurrée, au lyrisme éclatant. Accompagnateur fidèle, Bengt Forsberg est plus qu'une seconde voix, qu'il sculpte avec attention, sensibilité, instinct de coloriste, d'atmosphères palpables.
Tous deux réhabilitent d'abord ce qu'il y a de majeur dans la mélodie suédoise du début du XXe siècle par Wilhelm Stenhamar, paysagiste subtil, avec dans la voix comme des brumes qui se dissipent. Et, contraste immédiat, ces fines touches de folklore qui sont la nature même de la mezzo suédoise : Gammal Nederländare (Le Vieux Hollandais) de Stenhamar, et surtout En Gammal Dansrytm (Un vieux rythme de danse) de Ture Rangström, dont elle suspend Den Enda stunden (L'Unique moment), limpide.
Dans la 9e barcarolle pour piano en la mineur, Bengt Forsberg ne tombe pas dans le piège de Fauré, et joue l'austérité, presque le marbre, pour introduire la plus extatique Mort d'Ophélie de Berlioz qui se puisse ressentir. Il y a quelque chose de lointain, de mystérieux dans cette ballade lancinante et comme flottée, errance éperdue dans le soyeux du timbre, les mille nuances d'une éternité, de français ciselé, parenthèse murmurée.
C'est qu'il faut être parvenu à ce degré d'intensité pour imposer à un public français ce qu'il a de moins prétentieux, de plus délicieusement salonnard, et faire sourire de la grâce un peu niaise de Ma Première Lettre sur un texte de Rosemonde Gérard. Anne Sofie von Otter entoure Cécile Chaminade des plus délicates attentions, lui prodigue la même ciselure qu'à Berlioz, pour en révéler, affectueuse, tout le charme désuet.
Les Schubert sont tout simples, à l'orée de l'intelligence, de la couleur délectable, directs et touchants, d'irrésistible bonhomie d'un Erntlied (Chant de récolte), portés par le sérieux ludique de Bengt Forsberg. Et Ellens Gesang I atteint au degré suprême de l'art du dire en chantant, comme une vapeur nostalgique. De tel voisinage, les Mahler, qui ne sont pas d'eux-mêmes les plus marquants, passent un peu vite, si ce n'est Aus ! Aus ! auquel cet authentique mezzo Strauss donne l'ingénuité sarcastique de sa Mariandel du Rosenkavalier.
Pour escorter Weill, Forsberg démontre son habileté jazzy avec deux pièces pour piano extraites de Hot Music d'Erwin Schulhoff. La gouaille, le cynisme désabusé que la chanteuse met aux songs de Brecht sont de l'inégalable composition : la prostitué en carrière défraîchie de Nannas Lied y côtoie, en parenté visible, audible, la fille de cuisine qui se rêve Seeräuber-Jenny (Jenny-des-Pirates). Puis c'est Kurt Weill américain, dans des extraits de One Touch of Venus, élégamment croonés.
Et là , prodigue de bis, Anne Sofie von Otter déjante dans Money, Money, Money d'ABBA – de la mélodie suédoise, après tout ! –, délirant, évidemment, d'expression comme de chorégraphie, surtout déconcertant d'aisance, sans cet artifice qu'ont certains artistes lyriques adeptes du cross-over. Le précieux raffinement de Plaisir d'Amour viendrait presque comme une provocation, mise en bouche surannée à And so it goes de Billy Joel, élevé au rang de classique.
VĂ©ritable troubadour des temps modernes, Anne Sofie von Otter surprendra toujours !
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Théatre du Châtelet, Paris Le 22/11/2004 Mehdi MAHDAVI |
| Récital d'Anne-Sofie von Otter accompagnée par Bengt Forsberg au Théâtre du Châtelet, Paris. | Wilhelm Stenhamar (1871-1927)
Melodi
I lönnes skymning
Gammal nederländare
Ture Rangström (1884-1947)
En gammal dansrytm
Den enda stunden
Vinger i natten
Gabriel Fauré (1845-1924)
Barcarolle n° 9 pour piano en la mineur, op. 101
Hector Berlioz (1803-1869)
La Mort d'Ophélie, op. 18 n° 2
CĂ©cile Chaminade (1857-1944)
Ronde d'Amour
Ma Première Lettre
Attente (Au Pays de Provence)
La Lune paresseuse
Franz Schubert (1797-1828)
An mein Herz
Abendstern
Erntlied
Ellens Gesang I
Gustav Mahler (1860-1911)
Blicke mir nicht in der Lieder
Ich ging mit Lust
Aus ! Aus !
Erwin Schulhoff (1894-1942)
Deux Pièces pour piano extraites de Hot Music
Kurt Weill (1900-1950)
Nannas Lied
Die Seeräuber-Jenny
Speak low
Foolish Heart
Anne Sofie von Otter, soprano
Bengt Forsberg, piano | |
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