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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d'Hercules de Haendel mise en scène par Luc Bondy au Palais Garnier, Paris.
Pour la figure convulsée de Dejanira
De cet Hercules, il ne restera, gravées, qu'une seule image, qu'une seule voix, celle de Dejanira, exorbitée, éructée, dans sa danse, sa transe de macabre démence. C'est là que, l'espace d'un Where shall I Fly en apnée, les voies désespérément parallèles tracées par William Christie et Luc Bondy se seront croisées, comme aspirées par les imprécations de Joyce DiDonato, tragédienne inédite et transfigurée.
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Il aurait pu, il aurait dû se passer quelque chose entre ces parois oppressantes, devant ce colosse écroulé sur le sable, dans cette nudité tragique créée par Richard Peduzzi. Mais Luc Bondy s'est trompé de genre, d'auteur, d'époque. Prétexter Sophocle pour enrichir Haendel est de ces dangers que les hommes de théâtre se plaisent à affronter. Encore faut-il ne pas s'arrêter au livret, écouter cette musique qui souvent va plus loin, la comprendre, l'accepter, malgré la rigueur de ses conventions. Le metteur en scène suisse a voulu un adultère avéré, des preuves matérielles, presque des flagrants délits : la jalousie ne peut se nourrir elle-même.
Et pourtant, la musique en témoigne qui, petit à petit, par le venin des cordes des Arts Florissants, dégénère. Cet Hercules-là , d'une seule pièce durant deux actes, qui fanfaronne, qui vocalise, raillé par deux hautbois, ne peut être que bon guerrier fidèle. C'est trahir, aussi, les personnages, que de les réduire à ce tragique ordinaire, quotidien, de leur refuser la solitude, d'exposer ainsi le corps d'Alcides pour que chacun vienne le contempler. C'est un constat d'échec, surtout, que de meubler sans cesse, par d'insignifiants détails, là où rien ne souffle de mythique, d'antique.
La direction de William Christie souffre de ce même défaut d'élan, trop tranquille, trop léchée, avec quelques sursauts quand apparaît Dejanira, ou quand, dans l'ouverture du III, le violon de Patrick Cohen-Akenine projette sa flamme. L'effectif n'y est sans doute pas pour rien, qui atténue les contours, mais comment faire autrement à Garnier que de peupler ainsi la fosse. Moins précis, moins percutant que de coutume, le choeur, aussi, doit avant tout sonner, inspiré l'espace d'un The World's avenger is no more.
C'est un Lichas sans projection qui annonce les évènements les plus funestes : silhouette avantageuse, timbre troublant, Malena Ernman joue trop cynique, Sophocle. Ingela Bohlin ravirait tous les coeurs si, en plus du charme, le timbre avait de la tenue. L'intonation, la vocalise sont ici trop fragiles pour la sagesse haendélienne d'Iole, pas la petite briseuse de ménages de Bondy. Toby Spence chante tout, parfois remarquablement, mais pas cet Hyllus. Fort élégamment phrasé, Let no fame the tidings spread tourne en rond, de da capo sans imagination. William Shimell a la stature imposante, le timbre monolithique, la pitoyable détresse d'un Hercules, mais ses récitatifs dérapent.
Une Dejanira qui ose l'hybris
Et si ceux-là composent, Joyce DiDonato se consume, ose l'excès, l'hybris, expressionniste, variant les couleurs du timbre à l'infini, jusqu'à l'insoupçonnable : le moelleux, la lumière, mais aussi le tranchant, l'aigreur. C'est enfin le vrai théâtre, qui se jette a corps perdu, qui frôle le cri, les larmes, le sang. Le dérèglement de Dejanira est là , d'affliction en joie, de soupçon en terreur, de mépris en espoir : Resign thy club and lion's spoils, pointilliste, perfide, puis Cease, ruler of the day à la corde, nourri de silence. Hideuse, cette folie, où le chant, en imprécations, devient auto-destructeur – ne plus penser la vocalise que comme un poison.
Ce qui suit – air, duo, choeur, joie de façade – restera dans l'ombre de cette figure convulsée, d'agonie silencieuse, captivante.
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